Ordre de bataille des vendanges 2013…

Ces prochaines semaines, vers le 5 octobre, les pressoirs de Suisse Romande accueilleront un millésime quelque peu tardif mais en plusieurs points bien différent des précédents.

Après avoir échappé aux frimas (gel) de l’hiver on a vu un débourrement tardif qui ne fut jamais compensé que par un été alternant fortes chaleurs et orages d’une violence exceptionnelle.

Alors que nous croyions réunies de bonnes conditions de floraison, on constatât un millerandage et une coulure importante pour certains cépages comme le Pinot, le Cornalin et la Petite Arvine avec des pertes de récoltes allant de 20 à 60% par rapport à 2012.

Outre la grêle, le millésime 2013 aura également été marqué par d'importants phénomènes de coulure. Ici une vigne du terroir de Pradegg à Sierre.

Outre la grêle, le millésime 2013 aura également été marqué par d’importants phénomènes de coulure. Ici une vigne de cornalin du terroir de Pradegg à Sierre.

Autre phénomène rarissime, on remarque en ce mois de septembre une grande disparité de la véraison dans des cépages comme l’Humagne Rouge avec jusqu’à 15 jours de décalage au sein d’une seule et même parcelle.

Dans les régions de Genève, La Côte, Neuchâtel et du lac de Bienne, la grêle a eu des incidences sans précédent avec une perte de récolte allant jusqu’à 100% pour 2013, et  hypothéquant pour partie celle de 2014.

Pour l’instant, on estime que certains cépages tardifs auront de la peine à réunir les sucres naturels nécessaires étant donné la perte de productivité prévisible du feuillage dès le 15 octobre. Les rendements seront certes naturellement bas mais la véraison de début septembre ne pourra pas être compensée par un éventuel été indien.

Sur les marchés, les importations conséquentes de Chasselas allemands notamment par Coop Suisse et une présence toujours plus accrue des vins étrangers dans les promotions en grande surface ne permettent plus de progression des vins suisses. Les stocks indigènes stagnent et augmenteront même malgré la faible récolte annoncée.

Autre fait nouveau, les volumes vendus en vrac depuis la production sont négociés par un cartel toujours plus restreint et se retrouvent à des prix en dessous des coûts de revient.

Dans certains cas de plus en plus nombreux, l’année 2013 fut l’année où la vente de raisins ronds rapporta plus aux producteurs que la vente bradée des vins en vrac. C’est incontestablement un tournant au désavantage d’un nombre croissant d’acteurs économiques.

Sur le plan politique, la situation n’est guère meilleure. Au Parlement, il n’y a tout d’abord plus de lobby viticole comme c’était encore le cas il y a dix ans et ceux qui font mine de bonne volonté s’expriment laborieusement et avec de faibles connaissances du secteur. On a remis sur la table une énième mouture d’un blocage financement censé donner de la liquidité à des entreprises qui n’ont rien demandé car leurs priorités vont plutôt à l’amélioration des conditions cadres.

Et les députés qui veulent optimiser ces conditions cadres confondent coupage avec adjonction, assemblage avec ouillage et se concentrent sur un seul cépage comme la Petite Arvine alors que c’est l’ensemble des lois qui nécessitent un dépoussiérage.

Les Douanes, aussi, ont décidé «d’aider» les vignerons en été 2013 en suggérant d’augmenter les quotas d’importation de vins étrangers pour les personnes privées. On a trouvé mieux comme idée pour relancer une économie qui avait subit d’importants orages de grêle une semaine auparavant…

L’arrivée en août de nouveaux Grands Crus en Valais s’est faite en catimini et aucune innovation, comme par exemple une campagne de « Primeurs 2013 », n’est au programme. Bonjour tristesse !

On constate, en cette période d’avant vendanges, une ambiance similaire au naufrage du Costa Concordia où le capitaine est sur la barque en faisant dans son froc. Plus aucun leader n’est capable d’insuffler une unité de doctrine, les encaveurs et négociants multiplient les actions isolées et aléatoires (cas des paillettes d’or 24 carats dans l’Amigne) et certains vautours investissent dans des annonces spectaculaires par voie de presse pour attirer de nouveaux achats de vendanges payées légèrement mieux que le concurrent.

On a même vu en juin un Conseiller d’Etat valaisan poser dans la presse au côté d’un encaveur faisant l’apologie des vinifications à façon pour des propriétaires privés de vignes. On voudrait encourager le marché gris qu’on ne s’y prendrait pas autrement !

Autre fait important, certains propriétaires-encaveurs de renom ont déjà annoncés qu’ils n’encaveraient pas ce millésime 2013, vu l’état de leurs stocks, préférant créer un semblant de liquidités en livrant leurs vendanges aux grandes caves pourtant guère mieux loties. Ceci est un fait sans précédent car jusqu’ici seuls les producteurs de raisins faisaient les frais de cette crise uniquement créée par un manque de conditions cadres politiques et à l’émergence de cartels au niveau du négoce.

Peu de caves ont l’honnêteté d’annoncer un prix avant la récolte ce qui serait un minimum car une fois les baies pressées, il est difficile de faire marche arrière pour des vignerons qui semblent parfois atteints du Syndrome de Stockholm.

Quant à l’Interprofession, censée aider la branche, elle émet pour la première fois un prix indicatif dans des fourchettes allant de 2.80 à 3.60 pour le Pinot Noir entre autres exemples malheureux. On constatera facilement que ceux qui sont censé donner un prix indicatif et qui le font de manière aussi ventilée ont certainement un problème lié au courage d’utiliser le pouvoir législatif que l’Ordonnance leur a octroyé.

Pourtant, et on le répète à longueur d’année dans ces chroniques, notre vignoble a de nombreux atouts, et des solutions facilement applicables existent. La preuve se constate dans les caves de petites à moyennes importances qui se développent de manière prospère et efficace.

Nous allons donc débuter cette vendange 2013 dans un climat de tension électrique ou aucune concentration de bonnes idées n’est annoncée et où la dilution des différents pouvoirs fait craindre le pire pour 2014.

Rien n’étant perdu pour autant, on se battra avec les moyens du bord pour faire avancer les choses, dans le sens de notre potentiel, quitte à laisser tomber certains dogmes pour ensuite rebâtir plus sainement vers un marché rentable et pérenne.

Je le dis haut et fort, les vendanges 2013 sont celles non pas du millésime du siècle mais du renouveau !

« Puisque tout recommence toujours, ce que j’ai fait sera, tôt ou tard, une source d’ardeurs nouvelles après que j’aurai disparu ». Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre

 Xavier Bagnoud

Ingénieur Œnologue HES