Les "bonnes" pratiques œnologiques bonnes pour la casse ?

Pour avoir vinifié, acheté et vendu des millions de bouteilles de vins dans ma carrière, j’ai souvent observé d’un œil amusé certaines « incohérences techniques » Combien de fois, comme membre de jury internationaux, ai-je vu des dégustateurs porter vers des sommets de louanges des Pinot Noir qui ne devaient avoir de ce cépage bourguignon que l’étiquette.

Pire encore, j’ai posé un nez hagard sur des rosés australiens à l’arôme si marqué de framboise que même la confiture éponyme en palissait d’envie….

Aujourd’hui il y a à mon sens trois types de vins. Les vins authentiques respectant le millésime, le terroir et le cépage, les vins dit de marque qui grâce au « génie » œnologique sont identiques et fidèles, tel un Coca Cola, d’année en année (le vin le plus vendu en Suisse et vinifié par JP Chenet en France en est l’exemple le plus connu) et enfin les vins carrément trafiqués et contraire au Code des Bonnes Pratiques Œnologiques Fédéral dont je présidai les destinée de 1995 à 2001.

En 1997 déjà, lors de contrôles inopinés effectués sur des vins étrangers vendus en grandes surfaces, le « Labor der Urkantone » à lui seul, a eu l’immense surprise de déceler de la glycérine de synthèse dans 23% des vins analysés. Ces vins, à l’origine certainement assez médiocre, sont sensiblement améliorés par ce traitement et concurrencent ensuite nos produits à des prix 50% meilleur marché que le Gamay de Romandie.

Tout le monde se rappelle également l’émotion énorme que suscita il y a quelques mois le trafic des appellations en Bourgogne chez Labouré Roi où de vulgaires vins du Pays d’Oc étaient assemblés à des Gevrey Chambertin entre autres…. On se souvient également en 2012 du St-Saphorin vendu sous ce nom mais embouteillé avec une autre appellation. Ceci n’est hélas que la pointe de l’iceberg…. !

Le laboratoire cantonal du Valais a aussi décelé de la glycérine dans plusieurs échantillons de vins étrangers il y a quelques années mais bizarrement l’écho médiatique ne fut sans commune mesure avec le scandale du même genre qui toucha deux encaveurs valaisans il y à un peu plus de 20 ans.

Assez curieusement, certains pays exotiques et d’outre-mer n’ont pas de contraintes chimiques déontologiques et légales pour élaborer leurs crus et les oenologues peuvent avoir recours abondamment aux copeaux de chêne, aux arômes de synthèse, aux tannins colorants ou autres glycérines artificielles. Dans les pays européens les tricheurs sont également légion. Je n’énumère même plus les vins adoucis, également en Suisse, quelques jours avant la mise en bouteilles, par le fameux MCR (moût concentré rectifié) pourtant formellement interdit en vin (mais pas en moût) mais qui confère une finale flatteuse. Il n’y a qu’à aller dans un magasin œnologique à Sion ou Genève avant les vendanges pour s’apercevoir que de nombreux produits proposés sont formellement interdits notamment dans le but d’améliorer la couleur des vins rouges. Aucun chimiste cantonal ne s’en offusque pourtant…..

Ces vins trafiqués se vendent très bien et plaisent au consommateur suisse car le résultat dans le verre est surprenant et nos produits authentiques se retrouvent à nouveau en face d’une concurrence déloyale car souvent produits sous une autre juridiction et ce, malgré les accords internationaux ou ceux liés au Cassis de Dijon. Nos instances nationales et cantonales pourraient lutter plus efficacement contre ce second fléau sous-estimé pour ne pas dire méprisé jusqu’ici.

Malgré des lois et ordonnances certes peu claires mais fermes, les laboratoires cantonaux ne se donnent pas les moyens pour lutter contre les fraudes. En nommant un Œnologue Fédéral spécialisé dans la lutte contre ces mauvaises pratiques, vérifiant les ingrédients, l’ADN des cépages, le Carbone 14 des appellations, il y a fort à parier qu’après des scandales rédempteurs le commerce des vins suisses sera à nouveau considéré comme « bon » !

Xavier Bagnoud, Ingénieur Œnologue HES