Christian et Julien Dutruy, à l'Ouest du vignoble vaudois …il y a du nouveau : (I) La pépinière viticole de Founex

Des deux frères Dutruy, je connaissais surtout Julien, l’œnologue, rencontré à plusieurs reprises par le passé, moins son frère Christian. Au cours d’une journée « presse » le 25 mars dernier, j’ai pu faire davantage connaissance avec l’ainé de la fratrie, qui tout en collaborant avec son frère en cave, dirige les aspects pépinière et viticulture de cette cave de l’Ouest vaudois, pour laquelle il serait faux de dire qu’il n’y a rien de nouveau !
Nantis d’une solide formation l’un et l’autre dans sa discipline de prédilection (viticulture pour l’ainé et oenologie pour son cadet), les deux frères totalisent ensemble 10 années d’expériences professionnelles à l’étranger (Afrique du Sud, Californie et Allemagne pour Christian, en France et en Nouvelle-Zélande pour Julien) avant de reprendre ensemble les rênes de la cave familiale (que leur père Jean-Jacques leur a remis il y a quelques années, sans jamais venir ensuite interférer sur leur gestion). Ils sont la quatrième génération d’un domaine viticole créé en 1918 par leur arrière grand-père.

Ferronerie d'art

La pépinière Dutruy :
C’est cinq hectares de vignes en plantation,  ce qui en fait l’une des plus grandes de Suisse (certainement la seconde en surface) puisque j’ai appris au cours de l’exposé accompagné d’un « Power Point »  que seuls douze hectares produisant du « bois vert » sont en production en Suisse.
La production de « bois vert ». D’emblée Christian Dutruy évoque la pénibilité de ce travail qui reste manuel. C’est une culture rampante, donc sans échalas, qui fort heureusement ne nécessite quasi traitement phytosanitaire et où les rameaux progressent au sol de façon linéaire -avec l’indispensable appui humain- sur une longueur de six mètres environ (pas de doute, la vigne est bien une liane !) avant d’être taillés. Avec 2.000 ceps/ha, nous voici loin des 10.000 pieds hectare de leurs vignes productrices de raisin. D’ailleurs ces pieds de vigne ne produisent aucun raisin.
Ici, on ne fait pas de l’obtention de cépage (par castration des étamines et pollinisation de la fleur avec un pinceau). C’est au centre de recherches agricoles de Changins (le RAC) que ce genre de travail se réalise. Nota bene : il existe bien un obtenteur de cépages privé en Suisse, Valentin Blattner, qui collabore avec la pépinière Borioli à Bevaix, et dont j’aimerais bien évoquer ici le travail, mais à ce jour toutes mes tentatives de rencontre avec lui ont …avortées. Il faut s’armer de patience parfois et être convainquant quand on est blogueur !

Donc pas d’obtention de cépage à la pépinière Dutruy, mais du greffage. Ici aussi, c’est un travail délicat, manuel, qui conduit à une perte de matériel importante. Christian Dutruy évoque trois années de formation pour obtenir un « bon » greffeur.préparation du matérielCette machine ébourgeonne les yeux des boutures qui vont servir de porte-greffe (ceux-ci ont été achetés en France, ils ne proviennent pas de leur pépinière). Après quoi ces pièces sont taillées à la longueur souhaitée, puis greffées avec le cépage demandé par le client.

Mais pourquoi faut-il greffer les pieds de vigne ?

La cause de cette nécessité est un insecte américain qui a envahit et détruit les vignobles européens à partir de la seconde partie du 19e siècle : le phylloxera. Suite aux attaques de l’insecte, pour reconstituer les vignobles, des cépages hybrides ont été testés. Peu qualitatifs et proposant souvent des vins aux goûts foxés, il a fallu trouver une nouvelle solution. Celle-ci a été et est  toujours le greffage d’un pied de vigne américain, résistant naturellement aux attaques de l’insecte, avec une variété d’un cépage européen.

Bien sûr, les enjeux sont terriblement complexes. Il faut adapter le porte-greffe à la nature du sol et autre travail délicat, choisir des cépages européens connus pour leur qualité (certains clones étant plus qualitatifs que d’autres, certains ont le tort d’être exagérément trop ou insuffisamment productifs, certains doivent être éliminés car virosés, …il y a des combinaisons quasi infinies !).  Les greffeurs en plein travailDSC_0294le greffageUn « puzzle » deux pièces capital pour créer le nouveau pied de vignele greffage réalisé

opération cirageOpération cirage des plants, donc pas des pompes ! La cire protège le greffon, des substances cicatrisantes et antiseptiques y ont été ajoutées, elle protège surtout la nouvelle plante de la dessiccation.

Désormais, voici venu le moment du forçage. Il dure entre 10 et 15 jours : les jeunes pieds de vigne greffés sont chauffés à une température de 30° C et dans une atmosphère à 100 % d’humidité. Cette période très fragile nécessite des contrôles constants pour assurer la viabilité des plants.

Après ces étapes, il y a la mise en terre du cep, afin qu’il produise un système racinaire ou radiculaire, et bien sûr, l’on s’assure de la qualité de la prise de greffe. Malgré les soins et la surveillance réalisés, il y a encore beaucoup de perte à ce stade.

La plantation des greffons se fait dans une terre très meuble, de type terreau, les pieds sont plantés à intervalle régulier dans un film de plastique noir, garant d’un meilleur réchauffement de la terre au soleil, et éliminant également la croissance d’herbes parasites alentour. Un arrosage T tape garanti un apport en eau parfaitement contrôlé. Le désherbage entre les rangs est mécanique, sans herbicide. L’an passé, il aura été réalisé sur la moitié des plantations avec l’aide d’un cheval et de travailleurs en cours de réinsertion. Durant cette période, la plante grandit, il convient donc de la limiter, principalement au niveau foliaire (ce qui  a pour effet de réduire l’irrigation de façon notable). Les plants sont arrachés manuellement en fin de saison, puis taillés et conditionnés par lots de 25 à 30 pièces. Puis ils subissent un deuxième paraffinage, et sont placés en chambre froide jusqu’au printemps suivant, à une température de 02° C et à une hygrométrie de 100 %. A ce stade, il y aura eu entre 30 et 40 % de pertes. De quoi expliquer des coûts de production élevés.

La traçabilité au coeur du sujet !
Le métier de pépiniériste ne consiste pas qu’à produire du matériel végétal de qualité, loin s’en faut ! Produire un cep demande deux voire trois années de travail. Ce qui requiert un certain sens de l’anticipation, donc de la demande de la clientèle.

DSC_0319Christian Dutruy est aussi le président de l’association suisse des pépiniéristes viticoles.traçabilitéQu’est-ce qui ressemble plus à des barbues de chasselas sinon des barbues de n’importe quel autre cépage ? Si un client demande du chasselas, il faut lui procurer du chasselas, et pas de la syrah ou du gamay, erreur que l’on ne découvrirait que lors de la production des premières feuilles dans le vignoble. De bout en bout, il faut exercer une vigilance de chaque instant, être organisé, méthodique, et noter scrupuleusement les périodes de réalisation de chaque étape afin de ne pas commettre d’erreur. Idem lors du rangement des lots. La traçabilité des produits se doit d’être exemplaire de bout en bout.

Conseils et plantation :
Le fruit de l’expérience et la connaissance de son sujet, voila qui permet au pépiniériste d’intervenir en qualité de conseil auprès de sa clientèle et de l’accompagner au mieux dans ses décisions avant la plantation d’une nouvelle vigne. Concernant la plantation, la pépinière Dutruy réalise ce travail à la demande. A l’aide entre autre de machines et d’un système de marquage laser pour une efficacité redoublée. Bien sûr, les terrasses de Lavaux ne se prêtent guère à l’utilisation de ces outils technologiques. Bonne nouvelle, voici enfin une étape du travail du pépiniériste qui est couronnée d’un pourcentage de réussite proche de 100%. Désormais, c’est au vigneron de « piloter » sa nouvelle vigne qui entrera en production selon son degré de patience. Les premiers raisins pouvant être récoltés trois ans plus tard. Christian Dutruy propose d’attendre la 6e ou 7e feuille avant de rentrer les baies produites dans un cycle de vinification. Des vins issus de baies de ceps trop jeunes seraient fréquemment alcooleux, déséquilibrés, manquant de fond.
L’avenir ?
Il passe par la biodynamie. C’est le cas désormais pour six hectares de vignes du domaine, l’ensemble du domaine devrait suivre progressivement, et peut-être même un jour la pépinière elle-aussi. Mais, Christian Dutruy ne s’en cache pas, il n’y aura pas de folie. Pas question de jouer le salaire des employés sur un coup de dés, pas plus que  l’avenir de l’entreprise !Dorian
Voici Dorian, spécialiste de la biodynamie, transfert durant le « mercato » hivernal depuis un autre domaine vaudois, en biodynamie bien évidemment, et qui apporte son savoir-faire auprès des deux frères. Et l’on sent déjà une bien belle complicité entre les trois jeunes hommes. On va parler de plus en plus de jours fruits et de jours racines à Founex !
Une nouvelle cave. Julien m’en avait déjà parlé voici deux ans. Mais Founex possède une population qui n’a guère envie d’entendre du bruit, de sentir des odeurs, bref, une trentaine de riverains ont déposé des recours à la demande de construction d’une nouvelle cave. Si le Tribunal administratif vaudois a donné raison aux deux frères, sept quérulents se sont pourvus devant le Tribunal  Fédéral. Il faudra donc attendre avant de voir  s’élever et se « semi-enterrer » les nouveaux chais et de pouvoir œuvrer dans les chais selon leurs voeux (travail par gravité tout particulièrement).