Des sommeliers découvrent les vins rares de la famille Chanton (Ht _Valais)

Chercher la différence et valoriser le patrimoine viticole du Haut-Valais

Organiser une dégustation est toujours une tâche passionnante ! J’avais prévu une dégustation atypique pour des amis sommeliers qui font partie des meilleurs du monde, et je savais depuis le début que je réussirais à les surprendre. J’aime faire découvrir le vin suisse, qui est si difficile à trouver ailleurs. J’adore la surprise : on découvre des nouveaux cépages, régions, vignerons ou on redécouvre les cépages internationaux qui ont été marqués par un nouveau terroir. Le travail de sommelier ne finit jamais et le plaisir de partager ces moments est énorme !

La famille Chanton cultive la vigne dans le Haut-Valais, à Visp, depuis 3 générations. Une surface de 7,5 ha, un travail soutenu et une immense passion pour la vigne donnent plus de 20 vins différents. Il y a deux catégories : les cépages rares : Gouais, Rèze, Himbertscha, Plantscher, Lafnetscha et Eyholzer) et les spécialités  « plus traditionnelles »: Heida, Petite Arvine, Humagne Blanche, Riesling, Pinot Noir, Ermitage, Zweigelt).

Parmi la première de ces deux catégories, certains cépages « oubliés » ont été sauvés de l’oubli par Josef-Marie Chanton. Certains cépages ne sont plus plantés aujourd’hui que dans les vignes de cette cave familiale située à Visp (Viège en français, puisque le Valais est une région où deux langues se côtoient).
J’ai porté mon choix vers les cépages rares. Malheureusement une bouteille est arrivée cassée, le Lafnetscha et, celle du Plantscher était bouchonnée. Pour cette dernirèe,  j’ai quand même pu voir son potentiel.
On peut se rendre compte à quel point la production est confidentielle (entre 500 et 1500 bouteilles pour chaque vin, selon le millésime), surtout juste après la dégustation d’un Cru Classé de Bordeaux qui a plus de 70 ha ! C’était un grand classique, plutôt à oublier dans la cave, mais sans aucune émotion !

C’est extraordinaire de pouvoir déguster des cépages qu’on cultive dans un seul endroit dans le monde, et qu’on connait seulement grâce aux livres. On en a une idée en tête, mais, en fait, on se rende compte que cette image est loin de la réalité.

Il faut absolument essayer de découvrir ces vins, sinon il est impossible d’imaginer les sensations qu’ils procurent ! Dans ce cas-là, la réalité a dépassé l’imagination, et ça c’est la qualité d’un grand vin.

Les trois sommeliers qui ont participé à cette dégustation : Julia et Bruno Scavo, Teona Floare.
Julia Scavo est sommelière et formatrice en sommellerie. Elle a gagné plusieurs concours dont une  5ème place au Championnat du Monde en 2013, et une 3ème au Championnat du Meilleur Sommelier d’Europe et d’Afrique en 2017, le Master of Port en 2017. Bruno, son mari, est chef sommelier à la Société des Bains de Mer à Monaco. La biographie de Teona Floare, l’auteur de cet article, se trouve en bas de page.
La dégustation des vins :

Le Gouais 2016 – la grande surprise ! :
Peu cultivé aujourd’hui et pas trop apprécié – c’est bien dommage ! On dirait qu’il aime le Haut Valais et que le vigneron a trouvé le moyen de l’apprivoiser ! Depuis l’olfaction on s’est rendu compte que c’était un vin bien fait : arômes intenses d’agrumes, de fleurs comme la pivoine, de pêche, et d’amande, mais également une note fumée qui rajoutait de la complexité. En bouche, le vin est bien sec, ample, ‘full-bodied’ avec une acidité élevée. Tous les éléments sont bien intégrés : l’intensité aromatique, alcool, acidité. On a trouvé la texture assez surprenante : très soyeuse. En plus, la finale est longue et ça donnait envie de reprendre une autre gorgée.
Julia Scavo  souligne le coté anisé et légèrement amer des zestes de citron confit, et propose un Saint-Pierre cuit lentement au four, avec un sabayon de citron et mousseline de fenouil !

Rèze 2016 – la fraicheur soyeuse :
Il s’agit du premier cépage signalé en Valais (1313) !
Le nez nous a rappelé toute de suite le Sauvignon blanc : les fleurs blanches de sureau, l’herbe, le citron et le fruit de la passion et toujours un petit coté fumé. C’était le plus léger des vins goutés, bien sec, avec une acidité rafraichissante, une texture très soyeuse et une finale longue, sur le fruit de la passion. ‘Medium – bodied’, à boire dans sa jeunesse pour apprécier sa fraicheur et ses arômes primaires. Très agréable pour l’apéritif, et pour accompagner des entrées comme celle que Julia nous propose : une terrine d’écrevisse avec une gelée de citron, infusée à la fleur de sureau.

photo d’archive pour illustration.

Himbertscha 2016 – la complexité d’un cépage avec un grand potentiel :
Julia venait d’arriver d’un voyage en Autriche et ce vin lui a rappelé tout de suite les vins goutés là-bas. Maintenant c’était plus clair qu’on était dans une région de montagne, où les raisins avaient la chance de profiter de beaucoup de soleil, et de mûrir lentement pour accumuler le maximum d’arômes tout en conservant une acidité plus que nécessaire pour un vin équilibré! Les arômes intenses varient : la glycine, des herbes, fruits à noyau (pèche, abricot) et une touche de résine mais tout en élégance. En bouche, tous les éléments sont bien intégrés : acidité, alcool, saveurs pour mener à une finale longue. Toujours une texture crémeuse surprenante et un corps bien défini. Julia a mis en évidence le caractère épicé et suggère un accord avec L’œuf parfait, asperges blanches et vinaigrette miso aux zestes.

Humagne Rouge 2015 (ou Cornalin de la Vallée d’Aoste) – toujours une surprise :
Nez intense qui passe du floral au fruité (cassis, mûre, baies d’églantier) avec une note des herbes et une subtile touche animale et épicée après plusieurs aérations. C’est un vin qui me rappelle la fin d’été et le début de l’automne ! Un corps ‘medium +’, 13.9% alcool ; acidité et tanins bien présents et des saveurs complexes qui incitent la curiosité pour le potentiel de garde et l’évolution de ce vin. Julia a trouvé l’accord parfait : Pigeon, olive noire, mousseline de betterave et jus de cuisson parfumé à la réglisse !

Les parcelles de vignes éparpillées sur les pentes des montagnes sont des véritables ilots qui bénéficient pas seulement d’un microclimat particulier mais, également, d’une protection. Des anciens ceps ont été sauvés pour qu’on puisse redécouvrir le magnifique terroir suisse et le savoir-faire des vignerons. Cette dégustation m’a amené sur les terrasses ensoleillées des Alpes que j’attends avec impatience, de découvrir pas à pas !
Teona Floare,
Sommelière

Petite (auto) biographie de Teona :
J’ai une licence et un Master en géographie et tourisme – Université Babeș-Bolyai à Cluj-Napoca en Roumanie. Je suis venue en France en 2011 pour apprendre le français et j’ai
choisi de travailler dans l’hôtellerie. Après 5 ans j’ai trouvé ce que je cherchais : je me suis spécialisée dans le vin! C’est un produit qui est beaucoup influencé par la géographie, et il peut avoir un impact
considérable sur le tourisme.

Teona Floare, l’auteure de cet article.


J’ai commencé avec le Wset 2. En 2016 j’ai passé mon diplôme de sommelier à Bordeaux (avec mention Très Bien), et en 2017 le Wset 3. J’ai démarré  travailler comme sommelier dans l’hôtellerie de luxe, 5*: Domaine de Chateauvieux à Satigny-Genève (2* Guide Michelin. Stage), Le Chalet d’Adrien à Verbier (1* Michelin) et La Réserve de Beaulieu (1* Michelin).
J’ai également commencé à déguster dans des concours de vins, dont International Wine Challenge.
Teona  a déjà eu l’occasion d’écrire un article en anglais sur le site CDN : https://www.commdiginews.com/travel/apricot-brandy-valais-new-scents-switzerland-103033/
C’était la première fois qu’elle écrivait en français (et avec quel talent !), et elle a accepté de le faire pour Vins Confédérés. Un très grand merci Teona !