Calendrier de la vigne sans horoscope…

Dans notre métier, il y a soit les œnologues qui se concentrent sur la vinification, soit les viticulteurs qui, tout au long de l’année, se consacrent à la bonne tenue du vignoble. Plus rares sont ceux qui, au sein de petites exploitations, sont compétents pour gérer l’ensemble du processus de la taille à la mise en bouteilles. Chaque étape étant très exigeante en formation continue, nous avons donc le choix entre certaines spécialisations ou alors tenter d’en savoir assez sur les deux métiers pour obtenir les résultats souhaités.

Bien qu’ingénieur en œnologie et en viticulture, j’ai consacré uniquement une année de ma vie, la 21ème, aux travaux viticoles, désireux dès le plus jeune âge d’emmagasiner de l’expérience sur le vin puis sa commercialisation.

Pourtant, l’œnologue se doit d’être en contact permanent avec son chef de culture ou ses fournisseurs et c’est lui qui doit donner les stratégies de détail au vignoble. Ses connaissances théoriques se doivent par conséquent d’être exhaustives.

Etant sur certains points et peut-être à tort de la vieille école, je n’ai jamais fait le pas de la production biologique car j’estime que les raisins produits sont de qualité inférieure. Nos normes Vitival en Production Intégrée sont plus adaptées à notre vignoble, notre biotope et notre climat. Les normes que nous appliquons sont déjà extrêmement sévères et respectueuses autant que faire ce peut de la nature.

Quant à la « nouvelle mode » de la biodynamie, j’y reviendrai avec tout le positivisme possible lors d’un prochain article.

Dans cette chronique, je vais m’attacher à expliquer étape par étape ma vision d’envisager les travaux de la vigne en 2013 sous l’œil de l’œnologue.

A l’instar d’un capitaine de vaisseau, ceux qui pratiquent le métier de vigneron doivent avoir une grande connaissance de leur sujet, une indépendance d’esprit à toute épreuve et la volonté d’atteindre dans chaque étape l’excellence. Apprenant l’humilité dès ses débuts au contact direct des aléas de dame nature, le vigneron ne peut compter que sur lui-même pour assurer la qualité de ses futurs raisins.

Essayons d’énumérer aussi succinctement que possible ces différentes étapes viticoles de janvier à octobre, en essayant de mettre le doigt sur ce qui est primordial pour aboutir à un vin de qualité.

Tout débute lors de la taille de la vigne, en janvier, qui déjà va déterminer le futur rendement. De tous les travaux viticoles, c’est celui qui demande le plus de savoir faire afin de préserver le passage préférentiel de la sève qui garantit une bonne longévité des ceps (plus une souche est vieille et plus le vin sera concentré). Arrivant dans une période calme de l’année, les travaux ne peuvent pas être délégués à du personnel dont la formation serait lacunaire. Chaque erreur ne se pouvant être réparée, il est parfois effrayant de faire l’inventaire des vignes dont la taille laisse à désirer.

De la fin février jusqu’à mi-mars, c’est la période où le vigneron procède aux fumures afin de compenser avec des engrais organiques et chimiques les éventuels carences nutritives du sol. En effectuant des analyses de sols quinquennales et à condition de ne pas extraire de la matière organique des vignes lors de la taille, cette étape, bien qu’indispensable, se réduit au stricte minimum. Trop d’azote, par exemple, nuit à la concentration des baies.

Puis il s’agit de gérer à fin mars l’enherbement des sols. Soit par un ensemencement dans les cas où la concurrence hydrique n’est pas trop forte et que le risque gel de printemps est faible, soit pas l’application d’un herbicide résiduaire empêchant durant quelques semaines la germination des herbes éparses. Une bonne gestion de l’enherbement a son importance car elles utilisent les mêmes nutriments que la vigne alors que certains sols sont déjà arides et pauvres. Il est donc parfois utile, au grand hélas pour le biotope, de brûler les herbages 2 à 3 fois par an.

Début avril débute les travaux de la feuille avec l’ébourgeonnement qui doit confirmer les travaux de taille et éliminer toute végétation éparse et excessive. Onéreuse en main d’œuvre, comme le palissage des rameaux qui s’ensuit, ces travaux nécessitent uniquement de la minutie.

En juin, après la floraison de la vigne, il est important d’éclaircir la zone des grappes par un effeuillage raisonné. Ce travail est long et pénible s’il est fait manuellement. Il peut blesser les futures grappes s’il est fait mécaniquement. Dans tous les cas, il est primordial de bien aérer la zone des grappes, sans trop dépouiller le feuillage, non pas pour qu’elles reçoivent plus de soleil, mais principalement pour les laisser mûrir dans une zone moins humide donc moins propice à l’oïdium et au botrytis cinerea qui ravage les raisins mûrs en septembre (pourriture grise).

A fin juin, la vigne est bien place, droite dans ses bottes, et il «suffit» jusqu’aux vendanges d’écimer puis de rogner latéralement et en hauteur la vigueur excessive de la plante.

Il est toutefois très difficile d’estimer le rapport feuilles/fruits optimal à laisser pour une bonne maturité des baies. Seuls les experts les plus aguerris dans ce domaine ont une certaine avance sur leurs condisciples.

Peu influencé par les directives de l’œnologue sur ce point suivant, le viticulteur devra tout au long du cycle végétatif opérer certains traitements phytosanitaires afin de protéger la vigne des nombreux ravageurs de types insectes, acariens ou champignons. Au nombre de 5 à 13 selon la pluviométrie, la précision et l’opportunité de ces traitements principalement à l’aide de soufre et de sulfate de cuivre (utilisés aussi en viticulture biologique) détermineront l’état sanitaire des raisins. Heureusement, les problèmes engendrés par les acariens et les insectes se font désormais grâce à des moyens biologiques. Pour les vendanges, l’ensemble de ces produits auront disparu pour la plus part biodégradés.

Je reste par contre dubitatif mais respectueux des vignerons plus «écologistes» qui consacrent un temps fou mais peu visible sur le produit fini quant à leur approche plus biodynamique de ce que nous appelons le sulfatage ou traitement phytosanitaire. Je me suis amusé récemment d’un collègue qui «traitait» ses vignes avec de la poudre de prêle et d’orties et j’espère que Dieu me pardonnera cette écart de conduite…

Dès la nouaison (gonflement des baies après la floraison) jusqu’à un mois avant les vendanges, l’œnologue dirigera ce que nous appelons les vendanges en vert afin de gérer les quantités de raisins laissés en maturation. Fortement influencé par le millésime en cas de millerandage, et adapté à chaque cépage et terroir, la limitation du rendement reste une étape difficile car encore méconnue dans le détail. Quand est-ce le bon moment ? Faut-il couper aussi les épaules des grappes ou au milieu ? Les décisions à prendre sont fort nombreuses et l’adaptation doit rester grande. Je l’ai déjà dit dans une précédente chronique, il y a encore beaucoup de progrès possibles en viticulture dans la gestion millimétrée des vendanges en vert sous la direction du vinificateur.

Dans les sols arides et lors de certains étés très chauds, une bonne gestion de l’irrigation peut sauver une vendange prometteuse mais aussi la compromettre. Dans tous les cas, une installation en gouttes à gouttes s’impose comme étant la plus coûteuse mais la plus adaptée.

La dernière étape dirigée par l’œnologue est de fixer la date optimale des vendanges pour chaque parcelle et il s’agit d’un véritable casse tête chinois. Doit-on privilégier la maturité phénolique, des acides ou des sucres sachant qu’elles n’arrivent pas en même temps. Ici aussi on attend encore une aide des stations agronomiques qui font de la recherche fondamentale pour nous aider à transformer un travail encore quelque peu aléatoire en une science exacte.

Une instruction parfaite doit être finalement prodiguée aux vendangeurs quant au tri des raisins vu le peu de connaissance de cette main d’œuvre.

Tous ces mois de travail pardonnent certaines mauvaises décisions tant il est vrai que la vigne, plante robuste issue à l’origine des plaines arides syriennes, laisse une certaine marge de manœuvre au vigneron. Si chaque travail spécifique est fait selon les meilleures connaissances actuelles, les différences entre les millésimes, et on le constate depuis 15 ans, sont qualitativement de moins en moins prononcées grâce au savoir faire humain.

On entend d’ailleurs de plus en plus souvent : «Cette année, ce sera un millésime de vignerons». Sous entendu «excellent», car si la vigne a reçu les meilleurs soins nécessaires le jour J, ce sera encore l’année du siècle. Ceci à la condition sine qua none qu’on ait échappé au gel d’hiver et de printemps, aux coups de vents, aux pluies discontinues et, on l’a malheureusement vu cette année 2013, au désastre de la grêle !

« Je ne connais de sérieux ici-bas que la culture de la vigne » Voltaire

Xavier Bagnoud

Ingénieur Œnologue HES