Retour vers le futur pour l’innovation viti-vinicole

J’ai le privilège d’appartenir à cette dernière génération d’œnologues qui a vécu en direct cette transition de fond que la vigne et le vin ont connue depuis 30 ans.

Lors de mon apprentissage, j’ai encore eu à élever des vins dans des Borsaris en gachelle (cuves en béton recouvertes d’un bitume) voire en catelles de faïence, ou d’avoir eu le privilège d’apprendre à fermer la porte en chêne d’un foudre avec du suif de cave pendant qu’à la vigne on passait la charrue au treuil tout en y amenant le fumier des écuries…

En 1985, une cave comme Provins Valais, qui devait friser les 36’000’000 de litres de capacité d’encavage, répertoriait à peine 20% de ce volume en cuverie inox. Un très faible pourcentage de fermentations pouvait être thermorégulé (environ 250’000 litres sur 15’000’000 de litres en vinification par an) et les élevages étaient envisagés de manière bien plus empirique qu’en 2018. Une autre époque…

De l’école Ribereau-Gayon, on est passé à l’école Peynaud (œnologues des années 50 à 90 à Bordeaux). Ensuite, les œnologues-conseils de la nouvelle génération comme Michel Rolland et Denis Dubourdieu ont véritablement permis des bonds qualitatifs jamais vus jusqu’ici. L’ère Parker pouvait commencer !

Dans les années 90, je pense que nous avons tous pêché par un excès de modernisme en s’alliant à trop de chimie pour le vignoble, et en construisant des caves qui ressemblaient plus à des laiteries qu’à des chais, ce qui n’était pas toujours en phase avec un élevage idéal des vins.

Entre deux, le consommateur s’est instruit et, même s’il apprécie plutôt en majorité des vins relativement standardisés, il pousse les vinificateurs à dire ce qu’ils font, et à faire ce qu’ils disent.

Aujourd’hui, nous vivons une nouvelle et grande transition, vers plus d’authenticité et de traçabilité, qui devrait être la norme pour de nombreuses années.

Pour rédiger ces chroniques, j’essaye d’inventorier les thèmes de discussion lors de différents échanges avec ceux qui les ont lues, ainsi que les sujets d’actualité qui passionnent les œnophiles et les professionnels.

Dans un monde viticole où le non consensus est devenu tradition et où chacun détient sa part de vérité, je vais explorer prochainement soit des sujets qui m’ont été soumis ou suggérés, soit des projets plus personnels.

Par exemples :

  1. L’acier inox est-il vraiment adapté à toutes les vinifications ?

  2. Qu’en est-il des bouchages à capsules ou en bouchons lièges surtout après la récente émission A Bon Entendeur ?

  3. Que peut-on attendre des cépages de troisième génération à 5 gènes, résistants à 100% aux ravageurs de type mildiou, oïdium et botrytis (après ceux de la famille du Gamaret puis du Divico à 3 gènes résistants) ? La RAC de Changins, conjointement avec l’INRA en Alsace, sélectionnent en ce moment ces cépages multi-résistants.

  4. Qu’est-ce réellement qu’un vin nature et comment peut-on le vinifier ?

  5. Quel est le réel niveau des vins suisses d’aujourd’hui ?

  6. Pourquoi les vins rouges à base de Cabernet & Sauvignon rencontrent-ils actuellement un tel succès planétaire (le succès des vins de Bordeaux et les Supers Toscans n’a jamais été aussi grand)?

  7. Quels progrès réels peut-on encore accomplir à la vigne et à la cave ?

  8. Quel est le niveau de notre marketing ?

Autant de sujets et autant de polémiques diront certains.
Au contraire, je suis persuadé qu’au travers du débat d’idées, et en rédigeant un certain inventaire des sujets qui forgeront l’avenir, on pourra avancer gentiment mais sûrement vers une osmose entre une majorité de vins proposés, et les vins qu’on attend des viticulteurs et des œnologues.

Avant d’approfondir certaines de ces thématiques, je prépare une dégustation exceptionnelle avec des vins entre 1918 et 2018 sur certains trésors de garde du monde viticole. Peut-être que ce moment de partage me permettra de tenter de vous expliquer la différence entre un vin de collection, un vin de spéculation, un vin de garde, ou tout simplement un vin de plaisir immédiat !?

Dans l’intervalle, en sachant que chacun d’entre nous vit sa passion du vin au travers de coups de cœur qui nous sont propres, j’aimerai partager les miens avec vous. Je le ferai également, parfois, lors de prochaines chroniques.

Comme chaque suisse, je voue une passion pour le roi de nos cépages, le Chasselas (qui, faut-il le rappeler, vieillit aussi merveilleusement bien).

Lors d’une visite dans un bar à vin de Aigle, j’ai pu déguster un Château Maison Blanche Grand Cru 2016 de Yvorne. J’ai été sous le choc de la perfection de ce vin sur le cépage Chasselas. Ce fut comme la révélation de celui qui a crié un jour « Eurêka ».

Un bouquet envoûtant, d’une magnifique typicité cépage, reconnaissable entre mille. En bouche, un sublime équilibre entre le léger carbonique et les arômes de tilleul et d’agrumes. Un Chasselas étalon à déguster absolument.

Un grand vin est toujours celui qu’on est capable de reconnaître à l’aveugle. Pour en avoir le cœur net, je l’ai redégusté lors de Divinum à Morges puis carrément au château, à Yvorne.

Au chai, la découverte d’anciens millésimes m’a convaincu des magnifiques aptitudes au vieillissement de ce type de vin. La robe prend des reflets légèrement ambrés, jaune paille et des notes d’abricots légèrement confits apparaissent au nez. Une superbe découverte !

Le rare lot « Mis en Bouteilles au Château » est encore plus fin, délicat et d’une qualité si évidente qu’il se passe de tout commentaire superflu.

« Comme le vin est beau lorsqu’il est en harmonie totale entre notre propre goût et l’image qu’on se fait du vin parfait ! »

Xavier Bagnoud
Ingénieur Œnologue HES