Neuchâtel, laboratoire du Bio viticole Suisse

« Dans 25 ans, le Bio sera la norme. »
Pierre Fonjallaz, vigneron à Cully.
On méditera sur cette phrase, et surtout sur la façon dont les producteurs et les consommateurs peuvent influer positivement, pour que cette « prophétie » devienne réalité. Et pourquoi pas avant 25 ans !
Voici quelques années, il se disait que si une région suisse possédait le plus d’atouts pour convertir de façon importante son vignoble vers une viticulture biologique, c’était vers le Valais qu’il fallait se tourner.
L’argument de poids étant ses conditions climatiques, jugées plus favorables qu’ailleurs : faible pluviométrie et temps sec réduisant les poussées de maladies cryptogamiques. Mais le morcellement de son vignoble, et aussi la forte déclivité d’une grande partie de ses vignes auront été en grande partie à ce jour responsables du frein à ce développement.
Aussi, le pionnier Jacky Granges et sa collègue Marie-Thérèse Chappaz, restent encore fortement isolés dans cette démarche en Valais, mais ils ne sont fort heureusement pas seuls (il y a aussi, par exemple, Reto Muller à Riddes et d’autres). Il ne faut donc pas désespérer : une pomme bio sur deux produite en Suisse est d’origine valaisanne (étant entendu, que le Bio ne s’intéresse pas qu’à la production de raisins!).
C’est donc dans la région des Trois-Lacs, et plus précisément dans le canton de Neuchâtel que les choses ont le plus progressé ces dernières années. En ce début d’année 2016, dix pour cent des six cent hectares des vignes y sont déjà labellisés Bio-Suisse où Demeter. Ce qui confère au vignoble neuchâtelois une notable « avance » dans ce domaine sur n’importe quelle autre région du pays.
Deux des labels de l’agriculture biologique :
Biosuisse
Bio-Suisse représente plus de 6.000 producteurs agricoles et horticoles, et quelque 840 entreprises agroalimentaires qui fabriquent et commercialisent les denrées alimentaires du Bourgeon.
Demeter
Demeter est le label de l’agriculture biodynamique. Il possède un statut international et garantit une qualité élevée, quel que soit le pays de production.
Neuchâtel Bio-vitiland !

En voici grosso modo l’historique, l’état des lieux, et aussi quelques informations sur le devenir de cette tendance :

Je vais rendre honneur aux initiateurs : Maurice Lambert, aujourd’hui décédé, puis son fils Pierre, qui cultivent depuis 1992 en Bio les vingt hectares de vigne de leur Domaine des Coccinelles, à Vaumarcus. Les vins sont vinifiés et commercialisés par la cave de La Béroche, à St-Aubin. Un travail qui influe sur celui des autres coopérateurs me disait l’an passé son directeur, Caleb Grob.
Christian Rossel, à Hauterive, est un autre pionnier dans le canton. Il est labellisé Bio-Suisse depuis 2001 et Demeter depuis 2003. Il aura été le second vigneron de Suisse Romande a obtenir ce label après le fulliérain Jacky Granges, du Domaine de Beudon. Jean-Michel Henrioud, à Auvernier, l’a rapidement suivi dans cette même démarche.
Le changement suivant s’est fait en 2011, au Domaine de La Grillette, à Cressier (20 ha de vignes en biodynamie, mais sans volonté de certification). Le domaine produit lui-même les tisanes nécessaires aux traitements de ses vignes à partir de plantes récoltées dans leurs abords immédiats.
D’autres caves, et pas des moindres, que ce soit en taille et en réputation se sont également engagées vers une culture plus respectueuse de l’environnement. C’est le cas de la cave St-Sébaste de Jean-Pierre Kuntzer, à St-Blaise, et de la Maison Carrée, de Jean-Denis Perrochet, à Auvernier. Ces deux dernières, totalisent 30 ha de vignes. Déjà labellisées Bio, elles sont en voie d’obtenir le label Demeter.
Le Domaine de Montmollin, également à Auvernier, a débuté des essais en biodynamie sur un, puis cinq hectares de vigne dès 2011. Benoît de Montmollin m’a confié convertir dès cette année 40 % de la surface de ses vignes, soit vingt hectares sur cinquante. Il est encore trop tôt pour lui pour envisager une certification dans le futur. Il travaille en collaboration étroite sur ce sujet avec son voisin Jean-Denis Perrochet.
Hors canton, un de mes interlocuteurs, m’a confié sous couvert d’anonymat, que le directeur de la station viticole d’Auvernier, Sébastien Cartillier, en sa qualité de prescripteur des traitements pour la lutte contre les maladies du vignoble, a, par son ouverture d’esprit d’un point de vue agronomique, favorisé le développement du Bio à Neuchâtel. Cette même personne regrettant que dans deux grands cantons romands, les personnes occupant le même poste, aient usé d’intimidations voire même proféré des menaces envers des vignerons désireux d’acheter des produits alternatifs.
Le présent :
– La maison Mauler (Môtiers), spécialisée dans les vins effervescents, a annoncé à la mi septembre 2016 commercialiser deux vins tranquilles BIOSUISSE. Un Oeil-de-Perdrix et un Pinot Noir. En 2017, elle commercialisera son premier vin mousseux Bio.
– Le Domaine de Vaudijon (Colombier), pris en main par un oenologue français voici moins de quatre ans, s’investit dans lui aussi vers une viticulture biologique (un parent d’Emmanuel Houillon, vigneron bio réputé du Jura françois), conduit les vignes depuis 2015 avec la ferme volonté de travailler sans intrant chimique. Une partie des vignes est travaillée à l’aide d’un cheval et d’un âne du Poitou, car accessible à leurs gabarits.
Et dans le futur ?
On note que des changements de mentalité et dans la pratique professionnelle sont évidents. Les progrès accomplis sont très encourageants.
Il reste difficile, sinon même impossible d’évaluer leur progression dans les faits pour les années à venir. Nous pouvons toutefois raisonnablement penser que cette tendance va se poursuivre. C’est en effet une question environnementale, autant que de santé publique.
Des enquêtes ont démontré la présence de résidus de produits de synthèse dans les vins. Malheur à la cave dont les résultats sont mauvais dans les tests de recherche de résidus de pesticides dans les enquêtes d’associations de consommateurs, comme Bon à savoir, ou journalistiques comme Kassensturz et aussi A Bon Entendeur. Leurs effets d’annonces peuvent être catastrophiques en terme d’image, et provoquer une chute immédiate, brutale et a long terme, de la vente de leurs produits.
Le récent scandale du produit Moon Privilège de l’allemand Bayer, aura convaincu plus d’un vigneron que la sécurité annoncée par les firmes chimiques relève davantage d’un leurre que d’une réalité systématique. Il n’est plus possible de leur accorder une confiance aveugle. Nombre de professionnels sont déjà convaincus qu’il est temps d’appliquer sans attendre des alternatives à ces produits, car en outre, elles existent !
Avec ou sans effet direct avec le scandale Moon Privilège, dans plusieurs autres caves neuchâteloises il m’a été confié que la décision de se passer de produits phytosanitaires de synthèse a été prise. La surface de deux d’entre elles dépassant septante hectares !
Le passage au bio où à la biodynamie reste néanmoins improbable pour l’une d’elles aujourd’hui. A la cave, on m’a expliqué que les vignes sont difficiles d’accès et fortement pentues pour se « justifier ». Cela n’empêche nullement l’équipe viticole de changer ses habitudes, et de chercher à apporter de nouvelles réponses, plus naturelles, à une problématique complexe.
Son responsable me disant vouloir tenir compte du bilan carbone de l’entreprise :
« Si je dois faire passer le personnel et le tracteur pour traiter jusqu’à quinze fois dans la saison, ne vaut-il pas mieux trouver un compromis, et accepter des contraintes avec des produits chimiques, plutôt que d’émettre des doses de CO2 que je juge inacceptables  ? Nous avons conscience que nous devons nous améliorer, et œuvrons dans le but d’avoir un impact écologique plus conséquent dans notre travail quotidien. Nous agissons dans le sens d’un développement durable tout en ayant à coeur de garantir un maximum de sécurité envers notre clientèle et notre personnel.
Cela passe par l’amélioration de la biodiversité dans nos vignes, du travail du sol, mais aussi par l’acquisition et l’utilisation de produits « alternatifs », moins dommageables pour l’environnement  que les produits de synthèse fournis par les géants de l’agrochimie, dont les résidus restent bloqués dans le sol durant de très nombreuses années»
.
Il existe, en effet, hors des produits labellisés Bio et Demeter, d’autres produits à disposition des vignerons, et aussi une « alchimie de méthodes », souvent complémentaires, tendant à promouvoir un sol vivant pour les vignes, et, au final une production de vins plus sains.
En voici une liste non exhaustive :
– le travail du sol : pâture d’ovins en hiver (scarification du sol avec leurs sabots, apport d’engrais organique par leur fécès, arrachage d’herbes concurrentielles de la vigne, …), enherbement, travail du sol avec un cheval plutôt qu’un tracteur, …
Le microbiologiste des sols Claude Bourguignon, a mis en évidence que la vie microbienne de certains sols agricoles et viticoles européens, en raison de l’usage répété de produits chimiques de synthèse, étaient aussi pauvres que celui du Sahara ! Comment considérer et accepter qu’un sol mort soit le plus à même pour faire croître une plante qui nous alimente?lesollaterreetleschamps– une promotion de la biodiversité dans la vigne et autour d’elle,
– le « sulfatage au lait  maigre», permet d’abaisser les doses de soufre utilisées dans la lutte contre l’oïdium (un champignon parasite). Sa pulvérisation renforcerait en outre les défenses immunitaires des plantes. Epandu dans d’autres régions à l’aide d’un hélicoptère (Lavaux, Valais), il est employé également à Neuchâtel, mais depuis le sol. Son utilisation permettrait aussi de diminuer les doses du cuivre, métal devenu indispensable car protégeant la vigne du mildiou.
– les éliciteurs : ce sont des molécules produites par des agents phytosanitaires ou des ravageurs. Ils stimulent les défenses naturelles de la plante. Ils peuvent être d’origine animale comme la chitine d’insecte, de crevette, mais aussi d’origine végétale (champignons ou algues par exemple).

Pour (commencer à) s’informer plus loin :


La presse a abondamment commenté le sujet des pesticides et autres insecticides, et des incidences qu’ils provoquent tant sur la faune et la flore où ils sont pulvérisés, que sur l’être humain.
On lira par exemple «
 Le coût caché des pesticides » in Le Monde (19 mars 2016) :
A lire aussi  : « Le sol, la terre, les champs », de Claude Bourguignon, aux éditions Sang de la terre. Quand un agronome parle du sol avec passion sinon même amour !20160308_111704
A voir : « Insecticide, mon amour » de Guillaume Bodin. Le réalisateur de « La Clef des Terroirs », victime des traitements obligatoires aux insecticides contre la cicadelle de la flavescence dorée, a enquêté sur ce sujet. Des traitements qui relèvent d’un parfait exemple de défi à la logique, et où la prophylaxie n’est qu’une fausse excuse pour autoriser un traitement qui s’est avèré dans certains cas parfaitement inutile. Insecticide, mon amour est un réquisitoire sans volonté polémique. Il est très sérieusement documenté, et s’avère indispensable pour se positionner et surtout pour se poser les questions essentielles ? A voir sans retenue.