Visite chez Pierre-Luc Leyvraz avec une verticale de la cuvée Les Blassinges

J’avais croisé le vigneron à Chexbres, devant chez lui, un peu par hasard le 26 septembre dernier : je m’étais arrêté pour saluer le sommelier Jérôme Aké, seul devant la cave, qui pianotait sur son Natel. « PLL » était apparu quelques minutes plus tard, me glissant non sans malice « ça fait longtemps que tu as écrit sur ton blog  que tu voulais me rendre visite rapidement ».
Un rendez-vous a été pris quasi instantanément pour le jeudi suivant, soit le 03 octobre.
Ce jour-là, nous nous sommes rendus longuement dans deux parcelles de vigne, à Chexbres et à St-Saphorin, dans ce vignoble en terrasse, pentu, parcellaire et peu mécanisé voire non mécanisable.
Dans celles-ci, la taille gobelet est encore très utilisée (largement majoritaire) pour le cépage chasselas. Je le questionne sur l’âge des ceps dans la parcelle où nous nous trouvons. Il me répond que les plants ont 36 ans. Il se souvient les avoir planté alors qu’il avait 17 ans (voila, je vous donne l’âge du capitaine dans la foulée). Des pieds de vigne qu’il bichonne avec une véritable affection. Il taille bien évidemment ses plants lui-même, sachant que cette opération délicate est le premier gage de la qualité du millésime à venir tout en assurant la pérennité de la plante.
La présentation du travail du vigneron par lui-même a été instructive a souhait et d’une densité incroyable, à l’instar des vignes, où la densité de ceps doit être comprise entre 10.000 et 12.000 pieds/ha.
Sur son terrain, la vigne, il est intarissable. Il évoque l’évolution actuelle du millésime en cours, me montre ses plants de vigne, m’explique tout, sans fard. Nous goûtons des baies, insuffisamment mûres en ce début octobre. Pierre-Luc ne voit pas les vendanges avant 15 jours. Il parle d’histoire, du défrichage de Lavaux par les moines voici près de 1000 ans. Puis il évoque la géologie de Lavaux, m’entrainant dans une autre parcelle, me montrant ces conglomérats rocheux de poudingue qui ont résisté aux assauts du glacier du Rhône, lui barrant la route du Nord où il aurait pu rejoindre le Rhin.
Cliquez sur une photo pour l’agrandir :
Cela se poursuivra au carnotzet, où Pierre-Luc m’a confié noter jour après jour ses observations sur l’évolution de ses vins durant leur fermentation et durant l’élevage. Et ce depuis ses débuts voici trente ans.
Sa volonté de faire comprendre ses choix est toujours argumentée et montre le degré profond de réflexion que cela a demandé. J’ai rarement perçu un tel désir de progresser continuellement chez un vigneron, car c’est bien de cela dont il est question, puisque le vin ne se fait toujours pas tout seul !
Passons aux vins dégustés, une verticale de sa cuvée St-Saphorin Les Blassinges !
 
Les Blassinges 2012  (bouteille I) : Nez intense, sur des notes de fruit, dont la pèche, un note de brûlon également. La bouche est vigoureuse, avec un caractère légèrement épicé associé à une note de pierre à fusil.
Les Blassinges 2012 (bouteille II) : L’olfaction est un peu plus discrète, le fruité est moins évident à cerner. Je perçois ce vin comme étant plus minéral, avec des notes de pierre à fusil, à nouveau des épices (sensation poivrée). La bouche est vigoureuse, très droite et d’une belle longueur.
Dans les deux cas, j’ai retrouvé des notes végétales mûres (des herbes sauvages), de moka, de l’équilibre en bouche, de la fraîcheur pour soutenir la matière et une très belle longueur.
« PLL » me demande comment j’associerai ces deux vins à table. Pour la première bouteille, je verrais bien un plateau de fromages affinés, une fondue aussi. Pour la seconde, j’opterai pour une assiette de filets de perche. J’ai opté sans hésiter pour un usage gastronomique. Mais un beau plateau de fromages n’est-il pas lui aussi d’une certaine façon un plat gastronomique ?
 
Les Blassinges 2007 : il s’agit d’un millésime précoce. Il reste très frais en bouche, plutôt rond également, mais concentré, équilibré et puissant, « déroulant » une finesse remarquable. Ce vin est long en bouche. Il se présente avec un caractère fruité très pur.
Les Blassinges 2006 : En dépit d’une petite note d’évolution (le vin dégusté a été ouvert quelques jours plus tôt pour une autre dégustation puis mis dans de petites fioles pour être mieux préservé d’une oxydation.  Ce vin a encore un très joli nez, intense, frais, avec une note citronnée dominante. La robe est fort jeune, d’un beau jaune/vert. En bouche, de la puissance, un caractère crémeux, beaucoup de fraîcheur, de finesse et une fort jolie longueur finale.
Les Blassinges 2003 : Robe jaune doré. Le nez montre une petite note d’évolution (bon, ce vin a dix ans, ne l’oublions pas non plus) mais reste fruité. La bouche est concentrée, puissante et très fine. Millésime solaire, acides grillés ? Pierre-Luc qui n’est décidément pas un cachotier me communique le pH : 4,0 et l’acidité de cette cuvée : 2.5g/L.
Mais le vin ne se résume fort heureusement pas à ces deux chiffres, pas plus qu’à sa teneur en alcool ou à une note sur vingt ou sur cent !  Dans le cas présent, ce millésime montre avant tout une expression d’un grand équilibre en bouche, et, une nouvelle fois, une superbe longueur.
Les Blassinges 2002 : Nez puissant et complexe, avec des notes mentholées, d’épices. La bouche est une nouvelle fois puissante, avec une attaque vigoureuse, mais tellement élégante et équilibrée. C’est un trésor de finesse et de fraîcheur. Le toucher de bouche est véritablement magnifique. La finale, légèrement ronde, est une nouvelle fois d’une grande longueur. Coup de coeur pour.
Ce millésime obtiendra en 2003 la deuxième place à la Coupe Chasselas. Je m’abstiendrai d’en demander le vainqueur : car après tout, dix ans plus tard, ce vin est un sommet !
Les Blassinges 1997 : La robe est d’un jaune d’intensité moyenne. Ici aussi, je retrouve un peu de fatigue au nez, témoin sans doute de l’ouverture 72 heures plus tôt ou d’une évolution du vin dans la bouteille. Mais cela ne gâche en rien la finesse de ce nez. La bouche a conservé toute sa fraîcheur et sa finesse. Le toucher de bouche est soyeux. Cette cuvée reste très « vineuse » et d’une fort belle longueur.

Les Blassinges 2012

Les Blassinges 2012


Un style ? Très certainement. Mais Les Blassinges est surtout une cuvée de chasselas d’un niveau exceptionnel. Issue de parcelles vinifiées à part puis assemblées, Pierre-Luc Leyvraz, en bon chef d’orchestre, sait lui faire jouer la partition au plus juste en usant de leurs synergies pour les rendre complémentaires.
Voici un vin que j’ai trouvé davantage sur des expressions de fruité que de minéralité. La qualité du toucher de bouche et de la longueur finale sont un peu la signature de cette cuvée, qui se classe sans souci parmi les plus grandes expressions du cépage chasselas.
Ainsi qu’évoqué ici juste après la visite, Pierre-Luc Leyvraz va vinifier désormais une nouvelle cuvée : un Dézaley ! Il aura suivi ce millésime 2013 de bout en bout, depuis la taille hivernale jusqu’aux vendanges qui se déroulent actuellement. On en reparlera l’an prochain ! Si le vigneron se sait quelque peu attendu au tournant avec cette cuvée de Dézaley, Pierre-Luc concrétise surtout un vieux rêve. Je me suis permis une image un peu osée : Si le grand Henri Jayer aura toujours regretté de ne pas avoir pu vinifier ne serait-ce qu’une fois la Romanée-Conti, Pierre-Luc Leyvraz y sera parvenu à force de patience.
Pinot noir 2012

Pinot noir 2012


Pierre-Luc Leyvraz, connu pour sa cuvée de chasselas n’en réalise pas moins également trois cuvées de vins rouges tel ce pinot noir dont voici l’étiquette en photo ci-dessus. Un vin dont la robe est d’un rouge soutenu, le nez est intense avec des notes de fruits frais tel la fraise et la cerise rouge, mais aussi de fleur comme la pivoine. La bouche est structurée, dense, pleine de vitalité et d’une fort belle longueur. Il s’est apprécié à la maison sur 48 heures et n’a pas perdu de son charme durant ces deux jours.
 
Le site internet du vigneron : Pierre-Luc Leyvraz