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Chronique d'une renaissance à annoncer!
Le monde viti-vinicole, de tout temps, a su vivre avec différentes crises et les a toujours résolues.
Surproduction, marché de l’offre et de la demande déséquilibré, gel de printemps, floraison avortée, grêle ou scandales de l’un de ses pairs (glycérine en Valais dans les années 80) sont différentes péripéties dont les vignerons suisses ont réussi tant bien que mal à surmonter.
Par contre, s’il y a une crise que notre vignoble ne résoudra pas sans une aide appuyée de notre pouvoir législatif, c’est bien celle qui stigmatise le décalage entre l’image que ce fait le consommateur de nos vins, relayée par la presse, et les différentes pratiques de cave que nos lois et ordonnances viti-vinicoles permettent.
On l’observe en effet aisément depuis quelques mois. Il y a, d’une part, un immense malaise chez les vignerons, qui sont rémunérés en dessous des coûts de revient pour le 85% des cépages produits, et, d’autres part, on constate que les attentes du consommateur moyen ont bien changées en 15 ans.
En 2014, notre clientèle désire le meilleur rapport qualité-prix pour un produit à la foi sain, d’excellente qualité et éthique.
Quand M. Hans Müller de Zürich achète du cacao à la Coop de Spiez, il n’aimerait pas savoir que son Suchard Express contient 15% de chicorée. Nous observons les mêmes préoccupations et attentes légitimes avec nos vins, inutile de refaire la genèse des sujets qui défraient la chronique depuis 6 mois.
La satisfaction du client va de pair avec la rémunération du producteur et les conditions cadres actuelles ne peuvent résoudre ce mal être sans une réforme en profondeur de nos lois.
Au milieu de ces deux fronts, il y a les embouteilleurs de vins pour lesquels des nouvelles règles doivent être définies, tant il est évident que la souplesse législative de 2014 n’est plus en adéquation avec les attentes de leurs clients vis-à-vis du flacon proposé.
Je l’écrivais régulièrement sur ce blog depuis des mois « le jour où un journaliste mettra son nez dans les pratiques de caves de ceux, qui pourtant appliquent la législation actuelle, le scandale sera énorme ».
Je ne pensais pas que mes prévisions seraient vérifiées à si brèves échéances.
Tout a commencé avec un article du Temps de P-E Buss qui stigmatisait le fait que la Petite Arvine pouvait contenir jusqu’à 15% d’un autre cépage blanc, Muscat y compris, issu de la même AOC. On y comparait le scandale de la viande de cheval dans les lasagnes avec nos pratiques, pourtant légales, de coupage entre les cépages.
Puis d’autres sujets, comme le fameux assemblage à 40% des appellations intercommunales vaudoises, la fabuleuse fable du Château Muzot et d’autres révélations sur les coupages et droit des appellations, ont été largement diffusés par tous les blogs et quotidiens suisses depuis octobre 2013. L’orage n’est apparemment pas prêt de se calmer.
A une époque où on ne peut pas assembler 1% de Dôle Blanche dans un Oeil de Perdrix du Valais mais où le fait de mettre 15% de Muscat dans la même Dôle Blanche est autorisé, on se rend bien compte du champ infini de sujets que certains journalistes trouveront encore dans nos lois pour ternir un des plus beaux produits alimentaires que le monde humain ait jamais produit.
En ce mois de mars, alors que la presse fait feu de tout bois pour démontrer aux consommateurs à quel point on s’est bien moqué d’eux avec le blanc seing des lois de nos cantons viticoles, nos politiques semblent complètement désemparés et pris au piège.
D’aucuns déposent en urgence des postulats en réaction à l’article du Temps et demandent que désormais la Petite Arvine soit vinifiée pure. D’autres clament que ces pratiquent ne sont pas la norme et qu’il est scandaleux de généraliser le cas le plus célèbre à l’ensemble du canton…..ils oublient que c’est pourtant la loi !
Ces agitations ponctuelles ne servent à rien tant le besoin de refonte totale est immense !
Ce que personne n’a encore écrit, c’est que ces lois permissives engendrent d’autres dérives.
Imaginons l’encaveur valaisan qui a deux cuves de 10’000 litres de Petite Arvine. Il aurait le droit, selon l’ordonnance cantonale, de les couper avec 1500 litres chacune de Fendant. Mais ceci est uniquement le reflet de ce que sa comptabilité vinicole démontrera.
Dans la pratique et en toute logique, il gardera sa première cuve pure afin de présenter à sa clientèle directe le meilleur produit possible. Ensuite, il mettra 3000 litres de Fendant dans la seconde cuve qu’il proposera en grande surface, là où les marges sont déjà minimes.
Je pourrais donner des exemples plus spectaculaires encore, mais je vais renoncer pour le moment à tirer sur cette ambulance qui me nourrit. Je prie juste le bon Dieu de ne jamais devenir journaliste…ou contrôleur de la répression des fraudes.
Comme c’est le cas depuis un an via ce blog et au travers de mes 19 précédentes chroniques, je ne tente d’élaborer que des solutions.
S’il y a douze mois, on me lisait peut-être d’un derrière distrait, alors que je prédisais l’ensemble des problèmes actuels, la crise structurelle que nous traversons actuellement permettra peut-être désormais de faire avancer certaines choses..plus rapidement.
En ce qui concerne le cas particulier du Valais, il faut que les députés imposent certaines adaptations sans écouter les lobbys des négociants et légifèrent dans la direction déjà prise par la plupart des encaveurs qui travaillent en-deca des lois, dans un esprit de qualité et de bon sens vigneron.
Un Charles de Gaule de la viticulture ne ferait aucun mal en homme providentiel vu la situation d’image désastreuse que nous subissons de plein fouet (il suffit de voir les commentaires des lecteurs des sites de presse sur internet, sous les articles liés à ces scandales, pour se rendre compte combien le tort est immense. Le déficit d’image se chiffre en millions).
Vu qu’en bientôt 30 ans de métier, je n’ai jamais pu mettre d’accord plus de trois vignerons ensemble, il semble urgent, pour le bien commun, que nos politiques modifient les lois les plus désuètes sans écouter, je le répète au risque de lasser, les doléances des plus conservateurs guidés par l’appât du gain.
Si les autres cantons ont également passablement de travail législatif à épurer, voici ce je proposerai pour le Valais en première urgence :
Première intervention parlementaire:
Le Fendant, le Cornalin, la Petite Arvine sont vinifiés purs. Les autres cépages peuvent être coupés jusqu’à un maximum de 5% (afin d’éviter certaines vidanges oxydatives et pour en améliorer la structure et la couleur).
Les vins rosés (Dôle Blanche et Oeil de Perdrix) doivent faire l’objet d’une législation qui leur est propre.
Le droit de coupage concernant la Dôle doit être revu afin d’y intégrer plus de cépages rouges.
Dans le cadre d’un assemblage rouge, rosé ou blanc, avec nom de fantaisie, le Pinot Noir, le Pinot Gris et le Pinot Blanc peuvent être vinifiés ensemble.
Le Muscat et le Gewürtztraminer (autres cépages aromatiques?) ne peuvent être coupés avec des vins blancs mais peuvent être assemblés jusqu’à 5% avec un autre cépage blanc.
Deuxième intervention parlementaire
Le lieu de mise en bouteilles, en plus de la raison sociale, doit être spécifié sur l’étiquette.
L’étiquetage devra être le plus clair possible quant à la sucrosité résiduelle d’un vin blanc.
La 33 cl et la 70 cl sont interdites au profit uniformisé de la 37,5 cl et de la 75 cl (transparence des prix).
Troisième intervention parlementaire
L’Office Cantonal de la Viticulture est rattaché au Service de la Vigne et du Vin (à créer) dirigée par l’Oenologue Cantonal.
Une entité dotée de moyens suffisants est mise en place afin de mieux suivre les vignerons et les vinificateurs dans leurs tâches.
L’Oenologue Cantonal est chargé d’organiser une formation continue pour les vignerons et les encaveurs. Il s’occupe de la répression des fraudes et met à disposition des caves ses puissants moyens analytiques.
La cave de l’Etat du Valais est privatisée.
La structure de l’IVV est revue de A à Z.
Quatrième intervention parlementaire
Un seul recueil législatif relatif à la vigne et au vin est rédigé afin de clarifier et synthétiser pour le praticien les différentes ordonnances, code des définitions ou code des bonnes pratiques œnologiques.
Le contrôle de la comptabilité viticole est effectué pour toutes les caves par une seule entité.
La comptabilité financière des caves doit être pointée pour vérifier si elle corrobore la comptabilité vinicole.
Cinquième intervention parlementaire
Les acquits ne sont plus globalisés mais individualisés, parcelle par parcelle, cépage par cépage.
Lors des contrôles de cave, les acquits de vendanges sont oblitérés.
Une structure légale est mise en place afin de favoriser la production de vins de catégorie II dans les zones II et III ainsi que sur les vignobles de plaine et de rive gauche.
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Dans un premier temps, ces cinq modifications de nos lois et ordonnances permettront de mettre un petit peu d’ordre dans cette législation d’un autre temps, plus basée sur le confort des caves que sur la satisfaction de notre clientèle.
Seul un produit éthique, authentique et de haute qualité permettra un jour prochain de rassurer le consommateur et par défaut de mieux rétribuer le vigneron.
Cette clarification évitera aussi à certaines caves, comme nous l’avons vu récemment, de produire une contre-étiquette signalant un vin 100% pur cépage, 100% issu de nos vignes, …..100% du vin quoi!
« Tirons notre courage de notre désespoir même » Senèque
Xavier Bagnoud, Ingénieur Oenologue, Mars 2014