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Le vin comme miroir de notre futur…
Après mes 20 chroniques écrites sur ce blog jusqu’en 2013, j’ai accepté avec plaisir la proposition de Laurent Probst, créateur du Blog, de vous faire partager mes mises à jour sur une certaine idée que je me fais du vin.
Ces points de vue qui n’engagent bien entendu que moi, je me les suis forgés au fil des ans, au gré de ma passion de l’œnologie depuis 1985, ainsi que de diverses rencontres ou expériences.
A la relecture des anciens sujets que j’avais développés pour Vinsconfédérés.ch, il est intéressant de constater qu’ils n’ont pour la plupart pas pris une ride. Ces thèmes que j’ai développé font toujours débat mais avec encore moins de marge de manœuvre. Il est vrai que le monde viti-vinicole passionne le grand public et évolue comme peu de nobles sujets.
Le vin est devenu au fil des ans le miroir de notre société, de nos désirs comme de nos espérances, voire de nos peurs.
Tout d’abord, qui aurait cru il y a encore 10 ans qu’une seule bouteille de vin pourrait être vendue un jour dans un supermarché de Genève pour la somme astronomique de 21’500 francs (Romanée Conti 2006 chez Globus). Le Château Lafite-Rothschild 1982 que j’avais payé 72 francs avec ma paye d’apprenti à la Placette se revend aujourd’hui à plus de 3800 francs. La forte et récente demande des marchés asiatiques est par ailleurs passée par là.
Le vin est devenu, au sein de certaines appellations, un incroyable objet de spéculation depuis que les standards de notre société ne désignent le meilleur que dans le plus rare, le plus exclusif et le plus clinquant.
Tout évolue plus vite, mais parfois dans une direction trop commune, moins élargie. Bientôt, celui qui ne fera pas de biodynamie, ou l’œnologue n’ayant pas de foudre en bois, passeront peut-être pour des rétrogrades…
L’originalité et l’insolite, l’esprit innovant de certains d’entre nous, y compris des vignerons ou autres éleveurs de vins, sont parfois brûlés sur le bûcher des réseaux sociaux ou d’une certaine presse car les options choisies diffèrent d’une pensée qui se voudrait unique. On veut du naturel standardisé en quelque sorte…
Miroir également de nos désirs car le vin se vit aussi comme un phantasme. Les amateurs ont l’impression de ne jamais en savoir assez sur leur propre expertise œnologique. En doutant de son savoir, qui est fréquemment non négligeable mais enfui, le grand public ne cultive certainement pas assez le côté unique de ses sens gustatifs. Pas plus qu’il n’introspecte suffisamment ses expériences passées face à la découverte d’un vin, d’une dégustation.
Par conséquent, pour éviter tout impair, les consommateurs lambda achètent trop souvent des « étiquettes » ou cogitent en fonction des notations d’experts ou de conseils d’amis plutôt que de se laisser guider par l’instinct et l’émotion, seuls maîtres de son propre goût.
Pourtant, quand il s’agit d’acheter un objet bien plus complexe, comme une montre ou une automobile, l’avis des consommateurs est beaucoup plus acéré, ce qui ne lasse pas d’étonner…
Ce phénomène a permis à des grands noms comme Sassicaia de passer de 3000 bouteilles produites en 1968 à 180’000 flacons en 2013, en nuançant plus rapidement leur prix que leur terroir.
La période que nous vivons est faite autant d’espérances que de peurs. Vu que les préoccupations fondamentales ont changées, les gens prennent grand soin de leur santé et regardent à deux fois avant d’acheter un produit alimentaire. Ils sont prêts à payer très cher un produit au label Bio et la tendance est au manger plus sain, voire vegan.
Le vin n’échappe pas à cette évolution. Les viticulteurs se mettent de plus en plus à la biodynamie et les œnologues vinifient au plus naturel de leur éthique. La folie des années 70 à 90 s’éloigne et c’est certainement un bien. Le Small redevient Beautiful.
Les vins du futur seront élaborés par des hommes et des femmes remettant au goût du jour certaines pratiques ancestrales tout en étant les alliés des sciences les plus pointues.
On a en effet revu des chevaux avec des charrues pour butter les vignes, des investissements massifs dans des cuveries en bois et pour réduire la lutte chimique à la vigne on devra peut-être travailler sur les gènes et l’ADN des cépages. Une chose est sûre, le vin de demain sera un compromis. A nous de le façonner, mais selon les aspirations de chaque personnalité et non pas de dictats.
C’est entre autres en croquant dans ces problématiques nouvelles que j’écrirai mes prochaines chroniques avec en toile de fond l’œil de l’œnologue vu au travers de la lorgnette du consommateur.
Celle qui paraîtra le 5 février aura comme titre «Les trois défis majeurs de notre vignoble après l’AOP » (AOP qui devrait remplacer les AOC dès 2022).
Xavier Bagnoud
Ingénieur Œnologue HES