Le Divico, précurseur d’une ère nouvelle pour nos cépages ancestraux ?

 

Depuis quelques années, quelque peu échaudé par les expériences passées en terme de nouveaux cépages, je regardais le Divico d’un œil distrait.

Quelques plants de Divico sur le toit de la Cave de La Côte à Tolochenaz (Morges).

A force de répéter à mon fils, apprenti caviste de troisième année, qu’un bon vin issu d’un excellent cépage est celui qu’on reconnait de par sa typicité à la dégustation, je me demandais parfois si mes préjugés en la matière me permettraient d’avoir un œil critique et neutre sur ce nouveau cépage.

En effet, qui est capable de reconnaître à l’aveugle et de manière certaine un Carminoir d’un Garanoir, ou un Gamaret d’un Diolinoir ? A part quelques exceptions et rares surprises sur ces cépages « améliorateurs », on n’approchait pas, et de loin l’harmonie, la finesse, les contrastes et les typicités marquées du Chasselas, du Cornalin, de la Syrah ou du Pinot Noir.

Depuis trois ans, voyant que le Divico pouvait être cultivé sous certains micro-climats sans aucun traitement phytosanitaire, j’ai commencé à observer, toujours de loin, l’évolution du « phénomène ».

Il est utile de rappeler que sous nos latitudes poussent de nombreux arbustes et autres feuillus sans que des maladies cryptogamiques entravent leur existence. Ce n’est pas la même problématique pour la vigne qui est cultivée loin de son milieu naturel et d’origine, et dont la culture est conçue autour de contraintes de productivité.

Si tout allait bien pour Vitis Vinifera jusqu’au milieu du 19ème siècle, les bateaux ont ramené dans leurs cales des Amériques le mildiou, l’oïdium et d’autres ravageurs comme le phylloxéra. Les Garden Center ont ensuite importés à la fin du 20ème siècle la drosophile Suzuki via les plantes ornementales asiatiques ou tropicales, qu’ils nous proposent sur leurs étals.

Dans la course en avant pour cette lutte effrénée visant à préserver la santé des grappes, et via le jeu des résistances que les ravageurs ont développées vis-à-vis de certains produits phytosanitaires, on avait atteint un seuil limite, presque fou, que seule l’arrivée de la lutte raisonnée puis de la biodynamie a pu enrayer depuis 1995.

En outre, depuis quelques années, le consommateur veut savoir précisément ce qu’il boit, et s’inquiète de certains résidus toxiques, que quelques maladresses pourraient fixer dans le vin.

Les producteurs de raisins et de vins ont dû, par conséquent, envisager des protocoles en direction de la biodynamie et des vins plus naturels.

Toutefois, il est à mon sens illusoire de parler de « Viticulture Biologique » si c’est pour retrouver des moûts avec 5 mg/lt de cuivre. Lorsqu’on utilise le label Bio, il ne devrait pas y avoir de place pour le compromis.

Il est également erroné de croire que la biodynamie permettra d’atteindre les mêmes niveaux de qualité et de rendements sur nos cépages ancestraux, vu leur sensibilité, que la viticulture traditionnelle en production intégrée.

Dans cet immense flou qui imprègne notre avenir viticole, le Divico (croisement entre le Gamaret et le Bronner) arrive un peu comme le messie. La résistance cryptogamique du Divico se manifeste par sa capacité à synthétiser rapidement et naturellement des stilbènes qui sont toxiques, par exemple, contre le mildiou. Une sorte de fongicide naturel en quelque sorte.

L’ascendance du Bronner en gènes issus de vignes asiatiques et américaines a permis cette avancée spectaculaire dans la lutte contre ces ravageurs historiques capables de dévaster une récolte à 100%.

Les chercheurs de l’Agroscope de Changins ont effectué un immense et long travail de sélection pour choisir les 3 à 5% de souches aux résistances significatives afin de les multiplier ensuite avec une patience de bénédictin.

De 4 hectares en 2013, la surface promise à ce cépage est désormais en expansion car plusieurs feux ont désormais passé au vert, et la qualité des vins est au rendez-vous.

J’ai eu le privilège de participer à la fin du mois de février à la 2ème Fête du Divico organisée à Bramois (VS) par des passionnés, avec la présence de la douzaine d’encaveurs qui le vinifie, ainsi que des meilleurs experts de l’Agroscope.

Vingt-sept vins suisses sur différents millésimes étaient proposés à notre jugement. J’en suis ressorti conquis, car les meilleurs d’entre eux étaient vraiment plus qu’intéressants.

Le Divico donne un fruit épicé et complexe qui pourrait devenir sa typicité. Sa robe est rouge-noire, très foncée, avec des reflets de mûres et de griottes. Sa masse tannique est très importante et c’est souvent l’élevage sous-bois qui est choisi afin d’amortir un peu cet ensemble formidablement présent.

Les échantillons les plus réussis augurent d’un avenir prometteur que ce soit en cépage pur ou en assemblage. Il y a maintenant un certain travail pour lui trouver ses terroirs de prédilections.

L’intérêt réel pour ce cépage réside bien entendu, en définitive, presque uniquement et malgré tout dans sa formidable résistance aux maladies, ce qui permettra la production de raisins à 100% naturels lors de certains millésimes au climat méditerranéen.

En outre, sa masse tannique et ses polyphénols importants peuvent augurer des vinifications faites assez facilement sans soufre, via un protocole précis.

On pourrait, d’ici quelques années, et l’Agroscope l’a déjà fait, obtenir des variantes de Divico d’excellente facture avec zéro résidu ni intrant. Le vin nature et bio par excellence!

Les stations de recherches viticoles de France, d’Allemagne et de Suisse sont désormais vent debout pour sélectionner de nouveaux cépages résistants et l’Agroscope a déjà mis en terre chez des vignerons l’IRAC 2060, cépage blanc, également multi-résistant.

Le vigneron de Leytron, Marc-André Rossier qui en a planté, a déjà vinifié deux millésimes. L’IRAC 2060 produit des grandes grappes mais à la densité faible, des moûts généreux en sucres naturels ainsi que des vins avec une bonne vigueur et équilibrés.

Fait intéressant, sa parcelle a gelé à 100% à fin avril 2017, et la récolte issue des bourgeons stipulaires a permis un excellent rattrapage avec 1,1 kilos au m2 ce qui ne s’est jamais vu sur des cépages traditionnels.

Dans cette logique de rendre la vigne résistante aux principales maladies (et peut-être au gel ?) grâce aux progrès de l’agronomie, on pourrait par défaut imaginer préserver nos cépages historiques en leur inculquant des gènes utiles et ciblés.

Ne serait-ce pas formidable de transmettre les gènes du Bronner au Chasselas, au Gamay ou autre Cornalin? Si techniquement la chose est possible, il faut rappeler que la Suisse a prolongé jusqu’en 2021 le moratoire sur les OGM alors qu’un tiers des parcelles agricoles mondiales est cultivée à partir de plants génétiquement modifiés.

On devra tôt ou tard se poser la question si, pour une vision à 50 ans, on préfère un Chasselas OGM ne présentant aucun risque, hormis certainement de générer des phantasmes, ou de continuer certains traitements viticoles indéfendables à très long terme.

Il ne s’agit pas de choisir entre la peste et le choléra, mais entre un vin avec zéro résidus, et véritablement biologique, ou un statu quo qui sera tôt ou tard remis en question par les consommateurs.

N’est-il pas possible de finaliser des recherches en cépages traditionnels OGM sans tomber dans les travers pervers de Monsanto avec leur blé aux semences stériles ?!

En sachant que le 100% de l’insuline utilisée pour lutter contre le diabète humain est issu des OGM, pourquoi avoir peur d’utiliser sur des vignes ce qu’on utilise déjà sur l’homme ? Le psychodrame entretenu par certaines ONG comme Greenpeace n’est-il pas finalement exagéré à une époque où les progrès scientifiques sont considérables dans la maîtrise des génies du vivant?

En 2080, je ne serai plus de ce monde, mais j’aimerais qu’on plante sur ma tombe le premier plant de Petite Arvine résistant au gel, à l’Oïdium, au Botrytis, au Rougeot et au Mildiou…

Xavier Bagnoud
Ingénieur Œnologue HES