Vins naturels et grandes tables suisses…

A Genève, l’entrée des vins naturels se fait par la grande porte : les grands restaurants s’y mettent avec entrain. C’est-à-dire bien plus vite que le pas d’un cheval de trait au boulot dans les vignes.
Je les vois d’ici ces patrons, banquiers et autres nababs de la place de Genève, venus en limousine avec chauffeur, détendus malgré la crise qui sévit et secoue leur monde, assis sur la terrasse du Domaine de Châteauvieux, le restaurant de Philippe Chevrier (2 étoiles Michelin, 19 au G&M), siroter des vins naturels et s’extasier sur la pureté de fruit de tel pinot noir ou de tel Côtes du Rhône. Il faudra aussi s’habituer à les entendre s’interpeller pour savoir si la lune est montante ou descendante, et chercher à comprendre pourquoi le vin se goûte si différemment de la semaine précédente, alors qu’ils le dégustaient à Cologny, dans un autre « gastro ».
Que leur arrive t-il ? Eux qui dégustaient, aux mêmes endroits, il y a quelques années seulement, un St-Emilion Grand Cru « primeur » (c’est-à-dire à peine sorti des chais du négociant et sitôt mis sur la carte du restaurant).
La carte des vins de la haute gastronomie romande est entrain de changer nous apprend Patricia Briel dans son article dans le journal Le Temps, en date du 13 mars. Dans les temples de la haute gastronomie genevoise, le vin passe au bio. L’idée de boire ou de déguster des vins issus d’une viticulture propre à progressé.
Les vins naturels représentent déjà 05 % de la carte des vins du Lion d’Or, à Cologny ou du Domaine de Châteauvieux, à Satigny ! Un autre restaurant de la cité annonce déjà 10 % de vins naturels à sa carte et la progression devrait continuer pour arriver, cette année encore, à une proportion flirtant avec les 30 %. N’est-il pas temps d’investir en masse dans les domaines biologiques régionaux ?
Mais comment et pourquoi en arrive t-on à voir ces vins apparaître sur les cartes des grandes tables, alors qu’on (je) les croyais réservés à quelques bistrots, à des gargotes branchées de la jeunesse estudiantine, ou à des amateurs partis à la recherche du fruit ou de la digestibilité perdus.
Il paraitrait que cet engouement ne serait que la réponse à une demande de la clientèle ! Aussi, les sommeliers des grandes tables de revoir leurs classiques, d’apprendre, de chercher à comprendre  (ça c’est un bon côté du boulot j’imagine) ces vins changeants, évoluants à grande vitesse dans le verre, mais aussi de convaincre les cuisiniers que cette approche n’est pas futile, « que le mariage entre les vins naturels et la haute gastronomie est fabuleux » (Xavier Bloch, sommelier).
Emmanuel Heydens (le Passeur de vin, GE), n’y va pas par quatre chemins : « Comme la haute gastronomie, les vins naturels se situent au sommet de la pyramide des goûts ». Dans son commerce, les vins naturels représentent 70 % du stock. Et de nous faire un récitatif des qualités de ces vins  : davantage de personnalité, d’acidité, de minéralité, des tanins plus délicats, et de conclure en apothéose : les vins naturels sont des vins vivants.
Toutes les grandes tables n’ont pas embrayé avec autant de conviction dans cette démarche :
Au Pont de Brent (sur les hauts de Montreux, Vaud) la sommellerie fait de la résistance. On préfère évoquer des vins de terroir élaborés dans un esprit de la Production Intégrée. Au Terminus, le restaurant de Didier de Courten, à Sierre (Valais), où nous avions réalisé voici près de trois ans un souper mémorable lors de la Rencontre Avec les Vins Valaisans (délicieux souvenir que je ne mettrai pas en ligne ici, en raison de son ancienneté), une entrée timide s’est faite récemment, avec deux vins. Mais sans conviction aucune. Je cite le sommelier : « Ces vins ne sont pas forcément synonymes de qualité, mais j’aime la démarche qui consiste à mettre moins de poison dans la terre. » Message reçu : on ira donc au Terminus pour les mets, que l’on accompagnera d’eau ou d’un vin choisi, mais de qualité douteuse…
 
laurent
 
sources : Le Temps du 13 mars 2009, un article de Madame Patricia Briel.