Les déboires du Champagne Suisse

Un article écrit par Alexandre Truffer, journaliste et webmaster de  RomanDuVin.ch
 
A la fin août 2007, une décision de la Commission Européenne de Justice confirmait que les vignerons du village de Champagne dans le nord du canton de Vaud ne pouvaient utiliser le nom de leur village pour désigner leur vin.
Et pourtant, les chroniques locales prouvent que des ceps donnaient déjà du raisin en 885 dans la localité helvétique. Pendant plus de onze siècles, il n’y a jamais eu de problèmes.
La Champagne, région français prospère et entreprenante, vendait ses centaines de millions de bouteilles dans le monde entier sans se soucier des quelques milliers de vin suisse avec appellation homonyme (à noter que longtemps, l’appellation utilisée par les Vaudois était Bonvillars et non Champagne).
En 1974, la Suisse et la France concluent un Traité sur la protection des indications de provenance, des appellations d’origine et d’autres dénominations géographiques. Les autorités confédérales font alors une erreur lourde de conséquence. Elle oublient de mentionner que parmi les villages détenteurs d’une appellation figure Champagne. Toutes les autres communes du voisinage sont incluses dans le traité, sauf notre hameau.
Personne ne s’en rend compte pendant vingt ans. Or, en 1996, une action de promotion permet à quelques flacons de traverser la frontière pour se retrouver dans un commerce hexagonal. Le gérant trouve la coïncidence amusante et met en avant les bouteilles vaudoises. Manque de chance, il reçoit la visite d’agents de la répression des fraudes qui avertissent le Comité Interprofessionel des Vins de Champagne, dont l’une des missions est de réprimer les tentatives d’usurpation de l’appellation Champagne.
Commence alors un bras de fer qui se termine avec la signature des accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union Européenne. La Confédération qui désire assurer des avantages pour la compagnie aérienne helvétique -aujourd’hui tombée en faillite- accepte l’exclusivité de la région française sur l’appellation Champagne. Cette décision déplaît aux vignerons vaudois qui décident de s’engager dans la voie juridique.La décision de la Commission Européenne met un point final à l’affaire en refusant toute possibilité d’exception helvétique.
La presse suisse s’est largement faite l’écho du comité de défense du Champagne vaudois. Alain Banderet, en tant que porte-parole des recourants, a assuré que la lutte continuait. Ont-ils une chance? De fait, non! Il s’agit d’une affaire où le droit n’a que peu à voir. La commission européenne dite de « justice » a surtout pour vocation d’entériner de manière légale des rapports de force. Ce qui signifie qu’un petit village qui ne bénéficie ni de l’appui des autorités suisses ni même de celui des autorités cantonales n’a aucune chance contre une région mille fois plus importante -et plus riche- que soutiennent et la France et l’Union Européenne. Certains médias ont argué du fait que, au même moment, les Champenois autorisaient les Américains à employer le nom Champagne pour des mousseux fabriqués aux Etats-Unis. En fait, l’information s’avère erronée. Simplement l’Union européenne n’a pas la puissance suffisante pour imposer leurs AOC de l’autre côté de l’Atlantique et Champagne n’est qu’une de la trentaine de désignations que Washington ne reconnaît pas. Le bras de fer sur le sujet dure d’ailleurs depuis plus de vingt ans. Encore une preuve que le problème n’est pas la justesse des arguments, mais la puissance des protagonistes.
Truffer Alexandre
©RomanDuVin.ch 2007