Paola, de son talent à ses talons, et son sourire en souvenir…

Un clavecin dont le propriétaire fête les 350 ans à quelques pas de chez vous, ce n’est pas tous les jours n’est-ce-pas ? Quand, a fortiori, vous êtes un baroqueux corps et âme, raison de plus de se jeter aux pieds de la première claveciniste de la soirée… Séquence : « ventre à terre »!
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L’escarpin de Paola Erdas.
Loin d’une moda Italia du tout venant, voila une interprète qui ne prend pas soin que de ses mains. Elle sait aussi se chausser.
Après avoir joué quelques instants à nouveau sur le Louis Denis, pour des besoins photographiques, Paola s’est légèrement retournée pour se redresser et m’a vu à ses pieds, allongé sur le ventre. « Je suis fait. Le fétichiste des chaussures de clavecinistes est démasqué » lui ai-je dit. Elle a éclaté de rire et m’a offert son plus beau sourire. Puis, simple et fière à la fois, s’est déchaussée et m’a montré sa chaussure. Celle-ci était également peinte à l’intérieur, ainsi que sous la semelle.
« Après s’être rechaussée, a suivi un long moment de silence où nos yeux n’ont su se quitter. Enfin, elle s’est saisie de son iPhone, et comme tout un chacun, a photographié chaque détail du clavecin.
Un peu plus tard, lors de l’apéritif offert, nos yeux se sont encore croisés, brièvement. C’est alors que, discrètement, je me suis fondu dans la nuit. Ma famille m’attendait ».
Paola Erdas devant le clavecin Louis Denis, 1658
Pour en venir (enfin diront certains) à la vraie raison de ma présence dans la salle Faller ce dimanche d’octobre :
Monsieur François Badoud a pu acquérir voici quelques années un remarquable clavecin français du facteur Louis Denis, pour lequel l’État français n’a pas fait usage de son droit de préemption. Il me confiait avoir également bénéficié de beaucoup de chance car son Louis Denis n’a pas fait l’objet d’une quelconque spéculation. C’est ainsi que cet instrument exceptionnel est arrivé dans un premier temps à La Chaux-de-Fonds, puis a déménagé près de Neuchâtel, au nouveau domicile de son propriétaire.
Cet amateur passionné offre une nouvelle vie à son instrument. Nombre d’instrumentistes renommés ont déjà eu l’occasion de le jouer, voire même de l’enregistrer. Il est évident, que cet instrument se prête particulièrement bien au répertoire français de l’époque, à son esthétique.


La photo n’est pas trompeuse, le claveciniste a joué la plus grande partie de son interprétation sans aucune partition. Patrick Montan, musicologue et claveciniste. Il a joué deux compositeurs parmi mes préférés : Louis Couperin et Johann Jakob Froberger, dont la « Méditation faite sur ma mort future », œuvre récemment datée avec une extrême précision : le 1er mai 1660. Froberger s’est toutefois éteint en 1667. Il était à Paris en 1660. Aura t-il rencontré ce clavecin Louis Denis il y a 348 ans ? Patrick Montan estime que cette hypothèse est des plus raisonnables.
Outre Paola Erdas et Patrick Montan, nous avons également pu entendre Jovanka Marville, enseignante au Conservatoire de Lausanne. C’est elle qui avait « inauguré » cet instrument voici trois ans, après qu’il eut été remis en état par les ateliers Von Nagel de Paris. Elle a joué également Louis Couperin et J.-J. Froberger ce soir. L’après-midi musical s’est achevé par une interprétation d’Anne Robert, claveciniste bisontine, enseignante au Conservatoire National de Région de Besançon, spécialiste du Chevalier de Saint-Georges. Elle a également interprété une oeuvre de Froberger (incontournable !), le désormais célèbre « Tombeau de Monsieur de Blancrocher », alias Blancheroche, luthiste et ami de Froberger. Tombeau qui se termine par une gamme descendante, évoquant la chute fatale de Mr de Blanrocher dans des escaliers. Il serait décédé sur place, dans les bras du claveciniste allemand.
Je remercie les quatre interprètes pour ce beau moment de musique, et, bien sûr, François Badoud, pour sa générosité à offrir au plus grand nombre, la possibilité d’entendre et de voir ce superbe instrument.
 
Laurent