Les trois défis majeurs de notre vignoble après l’AOP

L’AOP (Appellation d’origine protégée) devrait remplacer les actuelles AOC (Appellation d’origine contrôlée) dès 2022, par souci d’uniformisation européenne, et pour franchir un palier vers encore plus de qualité et de cohérence. Il s’agit surtout de clarifier les messages entre les producteurs et les consommateurs.

Des IGP (Indication géographique protégée) seront également mises en place. Pour les saucissons ou autres fromages et produits du terroir, qui sont passés aux AOP/IGP il y a quelques années, on a enregistré une forte et réjouissante progression des ventes.

C’est désormais à l’enfant terrible de l’agriculture de faire le pas, avec pourtant la difficulté de concilier à la fois les intérêts des vignerons, des petites caves et des grands marchands de vins.

L’Interprofession devrait prendre totalement la main sur les cantons pour établir ces règlements et les cahiers des charges y relatifs. La tâche s’annonce ardue mais fondatrice d’une ère nouvelle. Une chose est certaine, la situation actuelle est désuète et a besoin de ces réformes.

On se rappelle du malentendu survenu il y a 5 ans lorsque les consommateurs et amateurs de vins ont appris parfois avec stupeur, que la législation permettait depuis des lustres de couper à raison de 15% un cépage avec un autre de la même appellation (par exemple 15% de Chasselas dans 85% de Muscat).

Avec ces nouveaux cahiers des charges AOP et IGP, il y a trois défis majeurs que le législateur devra résoudre et, dans un monde idéal, faire appliquer au monde viti-vinicole suisse.

1 : Être en adéquation entre le message d’une étiquette et l’attente du consommateur.

Si on lit entre les lignes des divers rapports sur les travaux préparatoires des AOP, il y aura dès 2022 toujours la possibilité de commercialiser par exemple un Pinot Noir du Valais sous quatre appellations différentes (Pinot Noir Grand Cru communal, Pinot Noir AOP Valais, Pinot Noir Vin de Pays, Vin Rouge Vin de Table) mais avec des paliers d’exigence plus sévères pour l’AOP et une simplification plus compréhensible pour les Vins de Pays.

Si aujourd’hui il n’est pas possible de commercialiser une Petite Arvine en Vin de Pays, il est probable que ce sera le cas dès 2022, tout en rendant plus pointus les critères des AOP (par exemple en diminuant les droits de coupage de 15 à 5%).

J’imagine que certains aimeraient même ramener cette proportion à 0% mais ceci est difficile à contrôler et surtout à mettre en pratique dans une cave, notamment pour des raisons de mise à bonde des cuves et des barriques, ceci pour lutter contre une hyper oxygénation des vins.

L’Interprofession devra aussi tenir compte que la Suisse est le seul pays viticole du monde à proposer plusieurs types de bouteilles très disparates au sein d’une même appellation sans parler du maintien de l’opacité des 70 cl et des 75 cl par le Conseil Fédéral il y a quelques mois.

Par contre, suite à l’individualisation des acquits de production en Valais (cépage par cépage) en 2017 (ce qui a été mis en place contre l’avis d’une grande majorité de producteurs), on pourrait imaginer que certaines familles de cépages cousins pourraient être à nouveaux globalisées au niveau des droits de productions tout en gardant leurs vins purs (Gamaret, Diolinoir, Garanoir, Carminoir par exemple).

Il s’agira de légiférer dans un sens de loyauté mais aussi de rentabilité pragmatique. Le vigneron, avec ces nouvelles contraintes, se retrouve étranglé. Vu le faible millésime 2017, la pilule a passée, mais en cas de récolte à plein quota on court droit à la catastrophe avec une telle rigidité. Que ce soit dit !

Un autre constat inquiétant devrait faire réfléchir l’Interprofession quand elle sera devant sa page blanche. En effet, le démarrage des Grands Crus, dans certaines communes valaisannes, est plus que mitigé, voire confidentiel, et les vins qui sont vendus le plus cher, et de loin, sont des assemblages (Electus, Cœur de Domaine, Tsampéhro) et rarement des cépages purs.

En outre, les Vins de Pays (hors AOC), pourtant très prisés des consommateurs, sont souvent de qualités insuffisantes, et d’une rentabilité catastrophique pour les producteurs. Une nouvelle législation peut très facilement rendre caduque cette anomalie.

2 : Avoir le courage d’admettre que l’ensemble du vignoble ne peut être valorisé de la même manière.

Depuis la mise en place des AOC, on a assassiné la rentabilité des Vins de Pays et des vignes de terroirs défavorisés et l’AOP serait une excellente occasion d’y remédier. Une viticulture rentable sur le 100% des parcelles permettrait de rendre une attractivité perdue pour le métier de vigneron qui est en léthargie financière depuis 1985. On doit admettre une fois pour toute, qu’un quota de production ne peut être envisagé de la même manière sur le coteau, qu’en plaine ou sur l’ubac.

Pour cela, des recettes existent : en modulant les quotas de production, les paiements directs et les rétributions au kilo en fonction des zones. Celui qui décide de produire un vin de pays sur ses vignobles de la rive gauche ou de plaine doit s’y retrouver financièrement, tout en favorisant la raréfaction de facto donc la valorisation des vins produits sur l’adret.

Si une loi fédérale ne permet pas d’adapter les ordonnances cantonales, il s’agira de revoir l’ensemble des canevas législatifs sans excuses ou faux-semblants…

3 : Se donner les moyens d’établir des protocoles de travail simplifiés et un contrôle efficace.

Pour l’œnologue, il n’est pas toujours simple de savoir ce qui est permis ou interdit. On se noie souvent parmi trois à quatre règlements difficiles à recouper et à assimiler.

L’autocontrôle (l’HACCP), obligatoire et nécessaire, est également négligé ou partiellement rempli par les petites caves, qui croulent sous les charges administratives.

L’Interprofession devra rédiger des documents résumés plus clairs à l’usage des praticiens, pour un suivi homogène et juste des vinifications, tout en se donnant ensuite les moyens pour contrôler que le travail ait été fait correctement, tout en ayant été simplifié.

Le manque de temps des exploitants a rendu l’empirisme parfois usuel, ce qui peut ensuite coûter cher en termes d’image. On part au plus pressé, à l’indispensable, en prenant hélas des risques sur certains fondamentaux.

Je le dis souvent, il y a quatre catégories de vinificateurs, les passionnés, ceux qui en ont fait leur métier et qui subsistent, ceux qui font de l’argent et ceux qui échouent, à divers degrés.

On parle beaucoup du manque de rentabilité de l’économie laitière, mais le producteur de raisins n’est pas mieux loti.

Une AOP et des ordonnances simplifiées et claires, ainsi que des protocoles de travail aisés d’emploi, et qui permettent une rentabilité saine de notre économie viti-vinicole, seront les garants d’une pérennité qui ne s’obtiendra pas sans courage et persévérance.

Demain, des jeunes gens reprendront les chemins des écoles d’agriculture car l’activité sera à nouveau attractive. A l’horizon 2022, l’héritage ne devra pas être écrit sous forme de testament.
Pour cela, redonnons la parole aux gens de la terre au bon sens pragmatique !

Xavier Bagnoud
Ingénieur Œnologue HES