Rencontre avec Yannick Passas, l'oenologue trublion du vignoble vaudois!

Belle et longue visite à la Maison du Moulin à Coinsins, pour y rencontrer Yannick Passas et son équipe ! L’ex rookie du Gault & Millau assume et revendique un côté rock n’roll  dans le look et dans son attitude, voire dans le verbe.

Yannick pourrait aussi revendiquer cette devise « travailler sérieusement sans se prendre au sérieux », mais d’autres l’on déjà dit avant lui. Ne comptez pas sur lui pour les imiter aveuglement.
Je suis rentré dans la cave alors qu’il achevait la mise au point de son assemblage rouge. « Tiens, goûte-y » me lance t-il.
Le nez est intense, tout de fruit, avec un petit rien de fumée pour évoquer l’élevage en fût de chêne. La bouche est pulpeuse, agréablement dense, son  toucher de bouche est délicat au possible. Que de finesse !
Ce premier vin semblait ne pas avoir envie d’être craché. Je n’ai pas suivi son avis bien sûr.
La dégustation serait-elle déjà lancée ?  La discussion la suit dans la foulée.
D’emblée, je perçois la volonté d’isoler les parcelles dans l’élevage des cuvées. Yannick ignore s’il les comprendra toutes un jour. Mais en s’y prenant jeune, il a au moins une chance d’y parvenir. On ne parle pas philosophie de travail. Mais plutôt d’état d’esprit. L’oenologue n’appartient à aucune chapelle. Il est clairement dans une démarche bio, mais sans aucune revendication où volonté d’aller chercher un agrément aujourd’hui.
Dans la cave on ne peut faire plus simple :
« Je n’utilise que deux intrants dans mes vins : la neige carbonique et un minimum de sulfites (à la mise en bouteille) ». Entendez par là que même l’usage de levures sélectionnées a été remisé au profit de levures naturelles.

Nous dégustons d’abord des vins de chasselas :
Fleur de Pêche 2015 : une vieille vigne de 40 ans à Lussy sur Morges.  Le sol est constitué d’argiles profondes. Le nez possède une belle intensité olfactive. Il est fin et franc, avec des notes de fruits mûrs dont …la pêche qui domine, une touche florale qui évoque la fleur de menthe. La bouche a une attaque vive, elle est ample, dotée d’une très belle finesse, avec une touche minérale discrète. Très bel équilibre en bouche. La matière est gourmande, salivante. La finale offre un léger caractère épicé.  Très apprécié. Pour info, ce vin a passé un an sur ses lies.
Pour 15 CHF, compte tenu de la qualité de la matière première et du soin apporté à l’élevage, je ne trouve rien à redire. Et c’est du parcellaire !
Château d’Etoy 2015 : Robe d’une jaune pâle, le nez est intense, avec des notes de fruits jaunes, que l’on retrouve en bouche, associées à une très belle minéralité qui apporte à ce vin une dimension tactile indéniable. L’élevage en fût est parfaitement maitrisé, puisqu’il ne nuit aucunement à la fraîcheur et au fruité. Il semble apporter un supplément de vinosité à la matière.
C’est un très beau vin, également salivant en bouche.
Chardonnay « Art » 2015 : les vignes se trouvent ici, à Coinsins. Nez riche et mûr, avec des notes de poire, de menthe et de fleurs blanches. La bouche est riche, sans être opulente, avec une bonne vivacité mais aussi une touche tannique discrète due à l’élevage sous bois. Un boisé parfaitement intégré. Au final c’est une cuvée équilibrée et très persistante, stylée.
Sauvignon blanc 2015 Messidor : un sauvignon blanc planté sur un terroir calcaire sur la commune de Lavigny. Elevage en fût. Au nez, la typicité du cépage ne fait aucun doute avec des notes d’agrumes et de bourgeon de cassis. J’apprécie la belle tension (malo pourtant faite) et la finesse de la matière, la sensation de maturité, l’équilibre et le caractère minéral de ce vin. Il faut aussi relever une fois encore le caractère salivant de ce vin.
Pépite de Nacre 2015 : (c’est un chasselas issu d’une vigne sise à Lavigny sur un sol de limons calcaires). Le nez est dominé par une note réglissée, que je retrouve d’ailleurs en bouche. Si la bouche apparait un peu austère, elle n’en demeure pas moins fraîche et d’une belle finesse. Simplement n’est-ce pas son jour pour se montrer davantage ?
Les Brachères 2015 : (un autre chasselas de Lavigny). Voici un vin que nous allons prélever à la cuve où il termine son élevage après avoir été élevé en fûts neufs exclusivement. Beaucoup de fruit, de fraîcheur, une note réglissée à nouveau sur cette cuvée gourmande et sapide, fraîche fine et longue.
Je rassure les puristes : la perception du boisé est infime !
Les Cocottes 2015  (tirées du fût) :  terroir de poudingue sur la commune de St-Livres. C’est un autre chasselas. Il sera en vente en début d’année prochaine. Joli nez sur des notes de belle maturité évoquées par la poire. En bouche, cette cuvée prend une dimension minérale avec une touche iodée-salée. La matière est riche, mais non dénuée de tension. L’acidité est surtout perceptible en milieu et fin de bouche.
Les Cocottes 2013 : le premier nez évoque une note de caramel au beurre salé ! Il y a aussi des notes de fruits jaunes comme le brugnon, une note de champignon blanc aussi. En bouche le caractère tourbé iodé est saisissant ! On a un peu l’impression de déguster un Whisky mais sans l’alcool qui va avec.
Ce vin est d’une complexité surprenante. Enfin, où surtout, il possède un dynamisme épatant. Ne partez pas en fuyant parce que vous avez lu 2013 (millésime solaire). Cette cuvée va vraiment vous surprendre !
Coup de coeur. Pas seulement pour l’originalité, mais pour la qualité surtout !
Viognier Les Vaux-Bernard 2016 : vignes de Buchillon. Un vin qui est typé avec une note d’abricot et de pêche, mais aussi une note de réglisse, et de fleurs blanches. La bouche est  très caressante. Bel équilibre entre vivacité et le gras de la matière. Jolie longueur également.
Avant de déguster des vins rouges, nous discutons aussi de l’approche viticole. Nous nous rendrons dans les vignes qui se trouvent à seulement cent mètres de la cave, sous un « cagnard » méditérannéen. La température maximale annoncée ce jour est de 34° C !
Travail du sol, enherbement, volonté de laisser les apex des vignes s’aoûter seuls, sans cisaillage, purin à l’ail des ours, …
Recherche d’un équilibre des plantes qui préserve l’acidité des vins.
Multiplication de petites grappes.
Le rendements sont faibles, de l’ordre de cinq cent grammes au mètres carré (désirés, en réalité, ils sont plutôt de l’ordre de 400 gr).
« L’an prochain je vais viser six cent grammes  histoire de faire pisser la plante ». ça, c’est du Yannick Passas dans le texte !
Allez, on passe aux vins rouges !
Gamay 2016 Violette des Prés : vigne située à Coinsins. Le nez est fin, sur le fruit, avec une touche florale. La bouche est croquante, souple, sans être légère, tout en finesse, équilibrée et longue, avec une note de réglisse sur la finale, et surtout une très belle fraîcheur d’ensemble. Très apprécié.
Gamay Les Vaux-Bernard 2015 : terroir d’argiles et de sables. Nez très délicat, avec une très belle note de cerise rouge. La bouche offre finesse et fruité, elle est agréablement concentrée, tonique, fraîche, longue. Relevez que le toucher de bouche est juste à tomber tant il est délicat.
Pinot Noir La Colombière 2015 :   issu d’un sol de graves calcaires à Coinsins. Nez sur des notes de fruits mûrs, noirs, de cerise et même de noyau de cerise. La bouche apparait grasse, bien structurée, mais  fraîche, bien que le boisé soit encore marqué. La note kirschée perçue en bouche évoque un peu celle d’un Jerez, d’un Banuyls.
Pinot Noir 2015 du Ch. d’Etoy : robe rubis, nez franc et frais sur des notes de cerise rouge, de groseille bien mûre. Le fruité apparait croquant en bouche, offrant une sensation de maturité et de fraîcheur. Les tanins apparaissent ensuite, concentrés mais délicats comme le pinot noir peut en produire. Ce vin est toujours en cours d’élevage et sera mis en bouteille d’ici une année.
Pinot Noir Prairial 2015 : terres argilo-calcaires sur éboulis, à St-Livres. Cette fois ce sont à nouveau les fruits noirs qui dominent. La mûre et la cerise noire. La bouche est concentrée, les tanins sont serrés, mais fins. Un vin qui est moins prêt à que le Ch. d’Etoy à ce stade.
La syrah 2015 La Colombière : Robe sombre, un peu brillante. Le premier nez évoque une note chocolatée, puis une note florale de violette, et de fruits rouges. La bouche apparait riche, tendue, tout en finesse. L’acidité est intégrée et de fait l’équilibre en bouche est remarquable d’autant plus que le boisé est fondu. Très grande longueur. Une superbe syrah. Un vin franchement enthousiasmant. Coup de coeur évidemment.  Les syrah du monde et valaisannes n’ont qu’à bien se tenir si en Vaud des vignerons sont capables de sortir de tels canons ! Certes le coût est de 60 francs. Mais compte tenu du boulot mené, d’une nécessité de la segmentation dans le prix des vins suisses pour se placer dans le grand marché du monde, c’est un prix que je crois justifié !
Le Merlot 2015 La Colombière : Robe sombre, opaque, mais légèrement brillante. Le nez offre à l’olfaction des notes de cerise, de cassis et de chocolat noir. La bouche est puissant  et chaleureuse, les tanins sont serrés, sans accroche, mais sans être fondus pour autant. Un vin qui appelle une côte-de-boeuf où une entrecôte.
Cabernet-franc 2015 : une robe d’intensité moyenne (au regard de celle du merlot dégusté juste avant), un fruité qui évoque la cerise noire, les épices. La bouche est grasse, les tanins sont serrés et fondus. Le jus de ce cabernet-franc est tout simplement splendide tant il est délicat et offre une sensation tactile intense, parfaitement en phase avec avec le caractère tonique apporté par une acidité parfaitement dosée. Très belle longueur. J’adoure presque autant que la syrah !
Ici se termine la prise de notes. Nous dégustons désormais quelques gorgées de vins avec une assiette de fromages et de charcuterie, vite suivie par deux foccacias cuites par un expert !
Quelle belle visite. Je la sentais rock n’roll, elle l’a été certes, mais surtout, Yannick a fait montre de passion tout du long de notre rencontre.
Passionné, mais aussi terriblement exigeant, il va faire son chemin l’garçon ! La Cave du Moulin …retenez bien ce nom, et n’hésitez pas à la suivre, et pas seulement sur Facebook. Allez-y !
A ce propos,  Yannick, Benjamin, Jérôme, Olivia et toute l’équipe ouvrent les portes de la winery en grand les 16 et 17 juillet prochains. Il y aura deux food trucks et un DJ est également annoncé.