Une dégustation passionnée au Domaine de la Ville de Morges

Pour débuter cette visite, Marc Vicari, le directeur de la cave depuis 2013, m’entraîne dans les chais, pour une visite et une dégustation de plusieurs vins qui terminent leur élevage.
La Grand Rue Réserve 2015. C’est un chasselas qui s’est fait remarquer l’an passé avec le millésime 2013, puisqu’il a remporté le titre (convoité) de champion du monde des chasselas (1er prix de la catégorie principale, meilleur vin vaudois, meilleur vin produit à plus de 15.000 bouteilles, et -cerise sur le gâteau- meilleur classement toutes catégories). Sa médaille d’argent au Grand Prix des Vins Suisses a contribué avec les autres cuvées inscrites au concours national de faire du Domaine de la Ville de Morges, la Cave de l’Année 2015.
Onze mois après ses vendanges, ce chasselas est prêt à être mis en bouteille. Il s’agit en fait de la seconde mise. La première ayant déjà été faite (nous la dégusterons aussi, voir plus loin). Et c’est bien un vin reposé que je déguste. Il est fruité (pèche blanche, note de verveine) , équilibré, riche, mais avec une belle tension, et un caractère minéral évoquant la craie. Un petit CO2 renforce encore la fraîcheur, mais ne perturbe pas la finesse de la qualité de bouche. Belle longueur finale. Très apprécié.
La cuvée Le Protagoniste 2015 est un assemblage de Gamaret, de Garanoir et de Gamay. Le vin a été prélevé dans la cuve où les différents cépages ont été assemblés.
Si un mot devait vous rester pour définir ce vin après sa dégustation, c’est clairement celui de la finesse. C’est un vin au fruité agréable, évoquant les fruits rouges, au toucher de bouche très fin et délicat. Cette cuvée ne joue pas des muscles, et à quoi bon d’ailleurs quand on joue sur l’équilibre, la fraîcheur, mais aussi bien sûr la maturité du millésime 2015. Très jolie longueur finale. Il a tout pour lui, y compris du potentiel. Coup de coeur.
Nous poursuivons avec le Servagnin 2015. Ici aussi, voila une cuvée qui est (déjà) un pur plaisir à la dégustation. Cette cuvée possède un beau caractère, une franchise remarquable, propre à un vin réalisé avec un grand cépage (le pinot noir !).  Le fruité au nez est intense, complexe. La bouche « rivalise » par sa finesse et sa délicatesse, sa fraîcheur. Voila un vin déjà parfaitement équilibré, qui a bénéficié d’un élevage adéquat, puisque celui-ci ne maquille pas la belle matière. Très belle longueur finale.
Le Galotta 2015 s’avère plaisant, mais passant après ce Servagnin « d’élite », il lui est difficile de tenir la comparaison. Son fruité, d’intensité moyenne, évoque surtout des épices douces. Sa richesse en bouche, est tempérée à l’attaque par une agréable vivacité. Ses tanins un peu granuleux trouveront leur public auprès d’amateurs de vins riches. Ce jeune cépage fait montre de qualités propres, et c’est là le plus important, puisque cela lui confère une typicité pour le moins originale. Il sera capable de vieillir en tout cas cinq ans.
Le Gamaret 2015 m’a bien plus. Lui aussi est riche et très franc. Son olfaction est plus intense que celle du Galotta, plus complexe aussi avec davantage de fruits pour accompagner les notes d’épices. La bouche fait preuve d’une belle finesse tout en possédant une mâche indéniable. L’élevage est judicieusement dosé. Fort apprécié.
Nous terminons cette dégustation dans les chais, avec le Gamay Réserve 2015 : et là, j’ai un autre coup de coeur. Nez très fin, pur et intense, avec des notes de petits fruits rouges (groseille, framboise, fraise) et noirs (mûre). La bouche est à l’avenant : après une belle attaque, le milieu de bouche offre du volume et laisse entrevoir des tanins d’une grand finesse et d’une belle concentration. La finale est longue, droite et le fruit revient de façon intense pour prolonger le plaisir. Bravo ! Une nouvelle fois, par le jeu d’une subtile rotation des barriques pour l’élevage, par le choix aussi de la qualité des fûts, l’élevage s’efface devant la matière. C’est vraiment un très (très) beau Gamay !
Nous poursuivons la dégustation dans le local d’accueil de la clientèle.
Chasselas Morges Grand Cru 2015 : joli nez intense où je retrouve des notes d’herbes aromatiques et de fruit mûr, telle la poire. La bouche est harmonieuse. elle est bâtie sur un joli gras, de la richesse et une indispensable fraîcheur. Belle longueur finale. Ce vin a été mis en bouteille en mars.
La Grand Rue 2015 : Le caractère minéral de ce vin est net en bouche. L’olfaction est encore discrète, avec des note de tilleul et de verveine. La bouche est droite, tendue (la malo a été réalisée pour 50 %). Très bel équilibre et jolie longueur. Un vin a savoir attendre un peu. Il devrait alors gagner non seulement en intensité aromatique, mais aussi en volume.
La Grand Rue 2014 : avec ce vin qui possède une année de repos en bouteille, l’olfaction est plus intense. Le fruité est mûr (poire et une petite touche d’agrumes). La bouche fait preuve de beaucoup d’harmonie. Elle possède toujours ce caractère minéral, bien affirmé d’ailleurs. Très bel équilibre. C’est un vin élégant, long, qui devrait gagner en complexité pour autant qu’on lui accorde encore du vieillissement.le-morgien-1Le Morgien 2015 : Robe pâle, sur des notes de tilleul et, à nouveau, de poire. La bouche est tout en finesse, avec un caractère minéral évoquant la craie.  C’est un vin subtile et délicat, harmonieux, qui l’on « visualise » immédiatement à table, avec un beau poisson du lac, pourquoi pas un omble-chevalier et une crème délicatement citronnée ? Coup de coeur pour ce cru qui marie gourmandise et délicatesse.
Marc Vicari et le domaine de la Ville de Morges semblent tenir « leur » fleuron. A suivre ! C’est un vin qui est vendu en souscription (16 CHF). Puis 19 francs lors de sa commercialisation.le-morgien-2
Les Guérites 2014 (ce vin est embouteillé, mais n’est pas encore commercialisé, l’équipe du domaine, proposant actuellement les derniers flacons du millésime 2013). Il s’agit d’un assemblage de chardonnay et de pinot gris. Nez très fin, avec des notes d’abricot, de litchi. La bouche est dense, avec un beau retour du fruité. La fraîcheur m’a paru un peu à la peine., mais cela peut-être du à la récente mise en bouteille. Au vu du travail mené sur les autres crus, cela pourrait être la meilleure explication.  Le millésime 2013, comptait une part de Doral dans son assemblage.
Gamay 2014, Morges Grand Cru : La robe est profonde, le nez est intense, avec des notes fruitées telle la cerise rouge, ainsi que son noyau, mais aussi de framboise. La bouche est à la fois fine et généreuse, les tanins sont souples. C’est un vin gourmand, harmonieux, digeste, frais, long.  Avec un prix départ cave de 10,50 CHF, ce gamay est une affaire !
Le Protagoniste 2014 : la robe est d’intensité moyenne. Au nez, on retrouve les fruits rouges (framboise, fraise), un touche d’épice aussi. La bouche a une belle mâche, les tanins sont fins, serrés, offrant au vin un caractère charmeur. Sur la finale, un caractère épicé, propre au gamay mais aussi au gamaret, refait son apparition.  Un vin qui a un potentiel de garde de quelques années. Mais il se goûte déjà si bien…
Gamay « Parcelle 982 » Nature, Morges GC : Nature, car sans intrant, dont le soufre. Enfant de la cave, c’est aussi le bébé de Corentin Houillon, le chef de culture. Le travail du sol et des plantes est réalisé en biodynamie (une approche culturale qui est réalisée sur 06 des 12 ha du domaine).
La robe est profonde, avec des reflets violacés. Le nez est sur les fruits rouges (framboise mais surtout la fraise), mais également avec une touche épicée (le poivre blanc). Le fruité est présent au nez, mais également tout au long de la bouche, à partir de l’attaque, et ce jusqu’à la finale. Les tanins sont serrés, fins, on sent la concentration de la matière (et on imagine de  rendements faibles). C’est un vin gourmand, étonnant, mais absolument réussi. En finale, le retour du caractère épicé est très prononcé, offrant davantage encore de caractère à ce vin.gamay-parcelle-982
Gamay Réserve 2014 : Robe profonde, plus mate que pour le gamay précédent. Le fruité est un peu plus évolué, avec des notes de cuir qui accompagnent les fruits rouges et noirs (de la cerise en passant par le cassis). La bouche fait montre de caractère. Le jus est tonique, et cette vivacité se marie à merveille avec la matière. Un vin qui reflète bien le cépage. L’élevage est soigné, discret, apportant de la complexité.. Très jolie longueur finale. Très apprécié.
Avec un trio de gamays de qualité, le Domaine de la Ville de Morges montre que ce cépage possède du potentiel dans la région, et qu’il est grand temps de lui rendre ses lettres de noblesse de façon toujours plus large.
Servagnin 2014 : Il est bon de rappeler que le Servagnin est un clone de pinot noir typique de la région de Morges, offert par Marie de Bourgogne (fille de Philippe le Hardy, duc de Bourgogne) aux morgiens au début du 15e siècle, pour les remercier de leur hospitalité. Pour en savoir plus sur le caractère historique du Servagnin de Morges, veuillez cliquer ICI
Robe rubis brillante, d’intensité moyenne, le nez est flatteur car fruité sur des notes de cerise rouge, et de groseille. Il est intense. La bouche est un peu en retrait car elle doit trouver son équilibre, en particulier en « digérant » son boisé, un peu marqué en bouche, ce qui provoque une amertume actuellement, mais qui devrait être passagère. C’est alors que le vin se révèlera vraiment. Il va gagner en patine, en complexité, en élégance, en finesse. Jolie longueur. C’est un très beau vin en devenir. Il suffit d’être un peu patient pour qu’il vous le rende.servagnin-ville-de-morges
Galotta 2014 (barrique) : Le boisé est un peu marqué au nez, avec une touche toastée dominante. Mais avec un peu d’aération, les choses rentrent dans l’ordre. Le fruité est plus présent, avec une note de cerise noire, de mûre et aussi d’épice. La bouche est riche, ample, les tanins sont souples et serrés. Le boisé est encore un peu apparent, mais avec un peu de carafage où de temps en cave, ce sera vite une histoire ancienne. Belle longueur finale. Le galotta procure des vins souvent tendres et riches, voire même chaleureux. Les amateurs de crus méridionaux, peu habitués aux vins suisses se laisseront facilement convaincre par ses qualités.galotta-ville-de-morges
La Coquette, vin mousseux brut (06 gr de SR) :  ce vin est un rosé élaboré à base de pinot noir. Son nez est fin et élégant, marqué par des fruits rouges. Les bulles sont fines et légères, ce qui me plait car cela rend le toucher de bouche plus agréable et élégant. Belle fraîcheur et bon équilibre général. Cet effervescent se laissera boire avec facilité parce qu’il est équilibré. Le seul petit regret serait peut-être la longueur finale que j’aurais aimé un peu plus longue.la-coquette
Pour finir, nous dégustons le Passerillé 2013. Un assemblage de chardonnay, de pinot gris et de doral. Belle complexité aromatique avec des notes de miel d’acacia, d’abricot, d’ananas. En bouche, j’apprécie sa finesse, son toucher de bouche, sa fraîcheur et sa longueur. Ce vin possède un bel équilibre, son acidité tempère la richesse.
L’enthousiasme, le plaisir et la passion de Marc Vicari sont communicatifs. Il faut le voir dans la salle de réception répondre aux sollicitations des clients venus boire un verre tout en achetant quelques bouteilles. Il aide le personnel d’accueil (en formation) chose qu’il fait avec beaucoup de bienveillance. Le Domaine de la Ville de Morges, que ce soit ses vignes, ses vins ont absolument toute son attention. Totalement imprégné par le domaine qu’il dirige depuis trois ans désormais, il est encore plus conscient et convaincu du potentiel des vins de l’appellation Morges.
En outre, loin de vouloir tirer la couverture à lui, il salue le dynamisme morgien dans son ensemble, me glissant que le nouveau champion du monde des chasselas est encore Morgien (la cuvée Morges VV de la cave de La Côte).
En bon « capitaine » d’équipe, il ne manque jamais de citer ses collaborateurs, et de relever les initiatives qui sont menées (et réussies) au domaine. Ainsi, le domaine travaille désormais avec des levures indigènes, et délaisse les levures sélectionnées sur plusieurs cuvées déjà. La part de biodynamie progresse régulièrement avec l’expérimenté mais encore jeune Corentin Houillon (05 des 15 ha). Peut-être qu’un jour, le domaine ira vers une certification ? Il est toutefois encore bien trop tôt pour qu’une décision soit prise en ce sens.
Saluons aussi le fait qu’en trois ans seulement, et ce pourtant dans un contexte vitivinicole pour le moins difficile, Marc Vicari a fait progresser la mise en bouteille d’une façon impressionnante (la faisant passer de 40.000 bouteilles à 110.000 bouteilles). Mais pourtant, la chose qui le touche le plus, est clairement la proximité retrouvée avec le public oenophile morgien. Pour le directeur d’un domaine (créé en 1547 s’il vous plait), cela n’a pas de prix.
Bravo !
De Morges, il parle même d’une sorte « d’Eldorado » du vin en Suisse. Compte tenu de la qualité des crus que le domaine propose, et celle des vins que je déguste auprès d’autres producteurs, je suis prêt à le croire.