Rencontre avec Caspar Eugster, le « kényan » blanc, vigneron au Domaine du Martheray

Je n’avais rencontré Caspar Eugster que fort brièvement au Conservatoire Mondial du Chasselas, lors de la rencontre de la Mémoire des Vins Suisses, en Vaud, voici trois ans.
Le voici depuis près d’une année et demi à Féchy, au Domaine du Martheray, un des membres (fondateurs) de l’Association Clos, Domaines et Châteaux. Après une collaboration à quatre mains avec l’ancien vigneron, Samuel Brocard, qui a depuis fait valoir ses droits à la retraite, il pilote seul, avec son équipe, les 15 hectares de vigne du Domaine du Martheray et ceux du Château d’Allaman, d’une surface similaire.
Une association de deux domaines qu’il juge pertinente et sensée : si les sols de Féchy sont de magnifiques terroirs à vins blancs -les cépages du Martheray sont le chasselas bien sûr, et une petite part de chardonnay (élevé en barrique), les sols sont plutôt diversifiés, sur un sous-sol morainique.
Ceux du Ch. D’Allaman, sont composés de chasselas, d’un peu de chardonnay et de gewurztraminer (ce dernier est destiné à devenir un vin doux après passerillage dans un grenier ventilé) pour un tiers, et pour deux tiers de cépages rouges. En premier lieu desquels le pinot noir, puis le gamaret et le garanoir. Les sols sont composés de cailloux, graviers, …
Enfin, d’un point de vue agronomique cette association s’avère elle aussi pertinente, puisque les maturités des raisins sont différentes, ce qui permet de travailler sur les deux vignobles de façon légèrement différée.
A ce jour, Martheray est travaillé selon les normes de la production intégrée. Le vigneron espère pouvoir aller plus loin dans les années à venir, en repensant le travail du sol, voire en travaillant selon les normes de Bio-Suisse.

Avant de revenir sur Féchy et le Domaine du Martheray, prenons un moment pour découvrir Caspar Eugster et son parcours riche et atypique.
Il est né en 1976 au Kenya, où ses deux parents étaient vétérinaires. Sa mère était spécialisée dans les petits mammifères, le père l’était dans les grands (il s’engageait dans la « vaccination du bétail du peuple Massaii »). Il vivra au Kenya ses quatre premières années avant de gagner la Suisse. Né kényan, il aura rendu plus tard son passeport.
Bien plus tard, il fera un stage en Afrique du Sud, où il découvrira que la réalité post apartheid a encore de la peine à faire son chemin.
Son cursus universitaire est impressionnant : Ingénieur polytechnique ETH en production végétale à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zürich (ETHZ), avec une focalisation sur les plantes, puis sur la vigne, il fait un passage dans les stations de recherche de Wädenswil et de Changins, avant de partir étudier en France, à Monptellier, où il réalise un master et un Diplôme National d’Oenologue, tout en participant à des recherches menées par l’INRA de Bordeaux.
C’est à Bordeaux, en 2004, qu’il participera au marathon du Médoc, déguisé en bouteille de Ch. Lafite (il y effectuait un stage). Le déguisement est une tradition de cette épreuve. Et il finira 504e sur 10.000 ! Un résultat des plus honorables pour un « kényan blanc », surtout avec les arrêts ravitaillements organisés devant chaque château (de fait, le marathon du Médoc est reconnu comme étant le plus long du monde puisque certains participants zigzaguent beaucoup en fin de parcours. Plus d’un coureur n’arrivant pas au bout de l’épreuve).
Puis, c’est le Chili, chez un géant mondial, Concha y Toro, aux 10.000 ha de vignes ! Il y découvre que l’on peut travailler en travail de rotation de huit heures, par équipe, 24h/24 !
Retour en Europe, en France à nouveau, mais en Alsace, dans la coopérative de Hunawihr-Ribeauvillé. C’est là qu’il me dit découvrir réellement les vins blancs. L’oenologue en chef était blessé lors des vendanges (à une cheville) ce qui rendait son travail très compliqué dans une cave étagée sur cinq niveaux. Caspar Eugster aura alors l’occasion de prendre des initiatives, pour son plus grand plaisir. On sent dans son discours qu’ici, il s’est développé quelque chose de nouveau, qu’il avait découvert de nouvelles sensations.
En 2006, Donald Hess, lui propose de travailler sur un projet unique : la création du plus haut vignoble du monde. Il va y consacrer cinq années entières. Le vignoble de 25 ha, atteint l’altitude de 3.111 mètres d’altitude. Sur les 30.000 hectares acquis par Donald Hess, il y a trois vignobles qui totalisent 350 ha de vignes, dont certains sols sont totalement vierges. Les deux premiers domaines se situent entre 1.800 m et 2.500 mètre d’altitude. L’un d’eux est le plus ancien domaine viticole d’Argentine.
Pour le projet haut de gamme pour lequel il est sollicité, Caspar aura intégré une foule de paramètres, dont bien sûr la sécheresse et le gel (il a calculé que le vignoble pourrait être récolté sept années sur dix seulement en raison de ces deux principaux aléas). Quand il quitte la Bodega Colomé, Altura Maxima est né ! C’est un vin du cépage Malbec. Il aura eu l’occasion de le déguster plus tard en Suisse, à l’invitation de Monsieur Hess.
Et afin de conclure définitivement sur les incroyables capacités linguistiques de mon hôte, sachez qu’il aura également travaillé une année en Italie, chez Gaja dans la DOC Bolgheri, et qu’il aura bien sûr étudié le latin.
En Suisse, il a travaillé dans les domaines Rouvinez et auprès de Louis-Philippe Bovard, à Cully, en Lavaux, avant de rejoindre le Domaine du Martheray, sollicité par son ami Pierre-Olivier Dion-Labrie (alors vigneron au domaine de Châtagnereaz à Mont-sur-Rolle).

Il est temps désormais de revenir à Féchy et au domaine du Martheray. Comment le vigneron et oenologue perçoit-il les vins de Féchy ? Il voit des vins fins, droits, au « squelette » acide et minéral, mais équilibrés, et au potentiel de garde important (la cave du Martheray renferme de vieux millésimes allant jusqu’à 1946).
La dynamique de Féchy Vignoble classé ? S’il approuve la démarche novatrice de mise en avant des terroirs qui a été lancée par les vignerons de la commune, et l’ensemble de la dynamique qui l’accompagne, le vigneron d’un domaine où l’assemblage des parcelles est d’une certaine façon l’ADN des vins, se range sans réserve derrière la culture de travail de son entreprise. Dans les chais, nous dégusterons à différents foudres les vins provenant de plusieurs parcelles, de quoi effectivement percevoir des différences de styles parfois étonnantes. Des « contraires », qui, une fois assemblés, sont l’empreinte même du Martheray.
Néanmoins, la parcelle « Les Crausaz-Haut », qui est vinifiée et élevée à part, à l’instar des autres parcelles, pourrait être mise en bouteille séparément. Après un élevage plus long ce vin, qui deviendrait un 1er Grand Cru vaudois, pourrait peut-être un jour intégrer ce classement ?
La vinification des vins est menée par Thierry Ciampi, mais Caspar, l’accompagne dans ce travail. La 1ere mention du nom du Martheray remonterait sans doute au 13 s (sans pour autant qu’il soit déjà question d’un domaine viticole). En tout état de cause, il fait forcément partie du patrimoine viticole de Féchy et de Vaud. Le domaine est vivant bien sûr. Outre les deux évènements annuels auxquels Martheray participe (les caves ouvertes de la Pentecôte et celles de septembre), il est possible de réserver le caveau, afin par exemple d’y réaliser un apéritif de mariage, voire pourquoi pas une séance de dégustation des vins du Matheray durant quelque match de rugby, sport que notre oenologue semble apprécier autant que moi (je ne sais s’il a contracté le virus durant son passage dans le sud de la France, en Argentine, en Afrique du Sud, où si c’est son épouse, originaire de La Rochelle, qui lui aura inculqué).

Le caveau est ouvert sur rendez-vous. Toutes les informations de contact sont sur le site Internet du Domaine du Martheray.Un grand merci à Caspar Eugster pour ce magnifique moment de partage tout en franchise et de simplicité offert à Martheray, et aussi à l’Auberge de la Commune, où nous y avons croisé deux de ses collègues.

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