Xavier Bagnoud : "I have a Swiss wine dream" !

 

On a tous fait des rêves que nous avons réalisés et des songes que nous avons oubliés. Quand certains expriment les leurs, comme Martin Luther King, on sourit sur le moment, tellement l’objectif semble éloigné de la réalité. Et pourtant, souvent le temps donne raison à ceux qui ont osé imaginer un avenir idéal, fréquemment admis de tous, mais que des peurs «congénitales» tardent à établir dans les faits.

Si les sujets œnologiques sont infinis, tant la diversité du monde du vin est vaste, il semble indispensable une fois pour toutes, de faire l’état des lieux de ce qui empêche le progrès technique de se réaliser économiquement. On nous dit parfois étant jeunes que nous avons tout pour bien faire. Force est de constater que c’est ce que l’on dit aussi du monde
viti-vinicole pourtant déjà adulte. La presse et les blogs le relèvent chaque semaine : le monde du vin suisse subit une crise économique sans précédents, bien que la qualité atteigne des firmaments.

Imaginons en rêve qu’un Général de Gaulle, comme pour la France «Hollandienne» vérolée de 1958, vienne assainir le marché en prenant des décisions simples et populaires, tout en se donnant les pleins pouvoirs pour le bien commun. Ecartant les lobbys, écoutant le peuple de base, ses premières décisions, sans blâmer ni fustiger les nombreuses aberrations commises auparavant, seraient les suivantes :

1 :

Vu que le vignoble fait l’objet de subsides d’Etat et que ce dernier passe à la caisse en cas de déconfiture (blocage financement, ré-encépagements payés, paiements directs), les encaveurs désireux de faire commerce de la vendange seraient obligés de payer le vigneron à un prix minimum, fixé par l’interprofession, et couvrant obligatoirement les frais de production.

2 :

Il nommerait un Oenologue Fédéral qui dirigerait le service de répression des fraudes, aussi bien pour les vins suisses qu’étrangers commercialisés dans notre pays. Ce super oenologue donnerait les orientations stratégiques d’encépagement, en cas d’aide de l’Etat, et rédigerait un nouveau Code des Bonnes Pratiques Œnologiques avec les moyens de l’appliquer.

3 :

Il créerait 4 catégories de vins :

A – Les Grands Crus, qui représenteraient les têtes de cuvées et les vins élaborés selon les normes les plus sévères.

B – Les vins d’AOC, qui seraient obligatoirement mis en bouteilles au sein de l’appellation, vendus non ouillés ni coupés avec d’autres cépages ou millésimes, à un prix minimum fixé par variété, afin de protéger la notoriété des vins à haute valeur ajoutée. Les acquits de vendanges seraient individualisés et les vignes (uniquement en première zone) recevraient un permis de vendanger après contrôle de la charge en août.

C – Les vins de pays (Petite Arvine, Cornalin, Pinot Noir de Romandie, etc) qui représenteraient l’AOC actuelle.

D – Les vins de table cantonaux et suisses qui permettraient de produire des vins gouleyants et bon marchés avec les vignes de plaine.

4 :

Il uniformiserait pour les catégories A & B le flaconnage aux 75 cl, 50 cl, 37.5 cl, afin que le consommateur puisse comparer les prix. Il imposerait un seul modèle de bouteilles pour les Grands Crus, ainsi que 3 types possibles pour les AOC (Bordelaise, Elite et Bourguignonne). Pour les quatre catégories, l’étiquetage correspondrait aux pratiques œnologiques utilisées et on signalerait à l’acheteur si le vin est sec, moelleux, doux ou liquoreux (comme c’est le cas pour les Amignes de Vétroz avec les 3 Abeilles).

5 :

Il inciterait, par la baisse d’un point de TVA sur les boissons, tous les détenteurs de patentes hôtelières ou de bars/restaurants à présenter en vins ouverts et sur la carte un minimum de 65% de crus suisses.

6 :

Il permettrait, comme c’est le cas presque partout en Europe, de vendre à l’emporter des vins suisses sur les restoroutes très fréquentés pas les touristes. Pour la consommation sur place, des bouteilles taille «bar d’avion de 25 cl» pourraient être bues avec une unité vendue par personne.

7 :

Il continuerait à financer la formation des cavistes, vignerons et œnologues, mais créerait urgemment une Académie du Vin inculquant le métier de la promotion, de la sommellerie et de la vente des vins aux jeunes Helvètes. Il est en effet vain de former 35 ingénieurs œnologues par année, si personne n’est ensuite capable de commercialiser les produits.

8 :

En partant du constat que les petites entreprises vinicoles ont moins de soucis financiers que les grandes caves, il ouvrirait un fond d’investissement pour les vignerons possédant ou louant plus de 2 hectares de vignes, et désireux de créer une exploitation vinicole dans le but de viabiliser leur travail via la vente à la propriété. Il encouragerait également par des moyens supplémentaires l’agro-tourisme.

9 :

Il offrirait un point de TVA sur l’ensemble des vins aux grandes surfaces qui atteignent 50% de leur chiffre d’affaire en vins suisses.

10 :

Il favoriserait financièrement par des concours le relookage des outils promotionnels comme les étiquettes et les supports divers afin d’améliorer le packaging de nos vins.

11 :

Il instaurerait et financerait un chapiteau itinérant des vins suisses, qui animerait sous le mode Vinea les grandes villes du pays une fois l’an.

12 :

Il repenserait complètement l’exportation des vins, en offrant des chèques touristiques liés à l’achat de vins dans des pays ciblés. Une coopérative suisse d’exportation serait mise sur pied, afin de garantir des volumes suivis en Cornalin, Petite Arvine ou Syrah.

13 :

Il mettrait sur pied un Office Fédéral efficace de Promotion des Vins (OFPV), sans trop de bureaucratie, et informerait la population sur les sujets liés au Vin & à la Santé.

14 :

Surtout, il ne consulterait personne, car jusqu’ici le consensus n’a contenté ni les vignerons, ni les encaveurs et encore moins les consommateurs.

Il est toujours facile de critiquer l’existant, et tel n’est pas ici mon propos, au risque de noircir 4 pages supplémentaires. Toutefois, en appliquant certaines de ces solutions, on pourrait prolonger la nuit et éviter un dernier réveil avant la mise en bière.

Tout ceci n’est bien entendu qu’un rêve que certains nantis jugeront absurde, car la bête malade les nourrit encore. Je leur souhaite de continuer d’accuser le franc fort ou autres «cochoncetés», car cela les rassure et nous aimons tous être caressés dans le sens du poil.

On reviendra très vite à des sujets plus concrets comme l’apogée exacte d’une bouteille de Cornalin ou la stœchiométrie des polyphénols, tant il est vrai que la politique n’intéresse plus grand monde et que la résignation est devenue un mode de vie.

« Ce n’est pas la technique qui représente le vrai danger pour la civilisation, c’est l’inertie des structures. »

Louis Armand

Xavier Bagnoud, Ingénieur Œnologue HES