Voici pourquoi je n’exporterai pas de vins de mes domaines….

On me demande souvent pourquoi on n’exporte pas plus de vins suisses. En effet, nos meilleurs vins tiennent la dragée haute aux autres régions viticoles dans tous les concours internationaux et l’image marketing de nos vignobles est bucolique. Il n’y aurait donc pas de raison pour que nos vins ne trouvent pas de salut économique à l’export.

Il est récurent que le grand public ne comprenne pas l’échec de nos vins sur les marchés extérieurs, alors que la Suisse a un extraordinaire succès à l’export avec tant de produits, notamment les montres et les machines outils.

Toutefois, les données du problème sont bien différentes dans le cas des vins et à ce jour, l’exportation des vins plafonnent depuis 1990, à des volumes inférieurs à 1% du volume, même avec des subventions dépassant en moyenne les 10 francs par bouteille.

En sachant que cela fait 20 ans qu’on nous dit que l’objectif d’exportation est de 10% à dix ans, je crois que le moment serait venu de nous concentrer sur le marché suisse en utilisant les fonds dévolus à l’export.

En fait, refusant de payer pour la promotion de nos vins sur sol suisse, le gouvernement préfère ne pas y promouvoir le vin afin de ne pas encourager l’alcoolisme (sic), et permet ce gaspillage de plusieurs millions depuis plus de vingt ans. Quelle hypocrisie !

On dépense 10 francs de deniers publics pour exporter une bouteille dont le prix est parfois de 8 francs. Pilatus Aéronautique serait bien content de bénéficier de telles largesses.

Tout d’abord, il faut savoir que nous importons, pour satisfaire les besoins de consommation de notre pays, environ 73% de vins rouges et 44% de vins blancs. En sachant que le nombre de touristes qui fréquentent la Suisse, avec 35 millions de nuitées, est aussi un énorme réservoir de clientèle qui apprécie nos vins, notre marché principal, pour ne pas dire unique, se trouve chez nous, et pas ailleurs. La Suisse est un îlot de particularités, il faut l’accepter.

Pourtant, s’il suffirait à nos vins suisses de grignoter des parts de marché sur les vins importés, la mosaïque de distribution ne joue plus le jeu des crus indigènes depuis les
années 90, principalement pour des raisons de marges commerciales. En effet, tous vins confondus, le prix moyen des vins importés est inférieur à 80 cts/lt en douane et leur prix de vente rarement en dessous de 4 francs hors action.

La plupart du temps Coop et Denner ont habitué leurs clients à payer des produits très fortement margés, chose complètement impensable en France ou en Allemagne où les marges en grande surface ne peuvent absolument pas être comparées avec la Suisse. Pourtant, malgré l’arrivée des hard-discounters le hold-up continue et comme disait Coluche « Tant qu’on trouve des cons pour payer…. ».

La grande majorité de nos vins se vendent dans le secteur de la grande distribution et de l’hôtellerie-restauration. On le sait, ces acteurs ont tout intérêt à acheter des vins étrangers bon marché à l’appellation ronflante (Côtes du Rhône, Bourgogne, etc.) pour les revendre avec une marge bien supérieure par rapport à un Cornalin ou un Féchy dont les prix à la production sont mieux connu de la clientèle.

Il est désormais presque impossible de les faire changer de stratégie surtout que la qualité est au rendez-vous, même pour un Montepulciano d’Abruzzo importé à 60 cts/litre, mis en bouteille à Satigny, et revendu 8.90 Frs chez Denner. Aucun vin suisse ne permet de telles marges en pourcentage. Imaginez un Chasselas d’Aigle revendu au prix de 94 francs chez Coop !

Lorsque je fus engagé comme responsable des achats vins pour une grande surface suisse, j’ai eu la chance de bien m’imprégner durant trois ans du milieu de la grande distribution. Vu que les marges sur les produits de première nécessité sont faibles car très concurrencés (5 à 30%), les vins et les jouets étaient notamment les vaches à lait des magasins avec jusqu’à 120% de marge sur certains articles, mais jamais en dessous de 30%. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir les rabais réguliers de 50 à 60% que font Coop et Denner sur les vins.

Cette situation a quelque peu changé avec l’arrivée en Suisse d’Aldi et Lidl, qui eux calculent des marges semblables pour les vins à la plupart des autres produits. On s’étonne parfois de voir une Petite Arvine à 8.90 Frs chez Aldi mais ce n’est pas forcément la production qui brade, c’est juste ce distributeur qui a une politique de marge plus serrée. En 2006, j’achetais déjà ma Petite Arvine à 7.40 Frs sauf que nous la vendions à 12.70 frs.

Quant aux restaurateurs zurichois ou lucernois, ils ont pratiquement banni de leurs crus au verre les vins suisses car leur marge est également bien inférieure par rapport à un vin français ou australien. En achetant dans un Cash & Carry un vin de bonne qualité à 3.50 frs la bouteille, ils vont multiplier leur bénéfice par quinze contre trois par rapport à un vin suisse. La clientèle, peu au fait des prix du marché, accepte de payer au prix fort cette touche d’exotisme. Encore une fois, une particularité bien suisse.

L’autre problème de la Suisse, et pour paraphraser un expert suisse bien connu dans le domaine du vin, est que nous produisons les vins haut de gamme les moins chers du monde et les vins bas de gamme les plus chers. Et c’est justement sur les vins bas de gamme que nous rencontrons des problèmes de vente. Les distilleries Morand ont prouvé avec leur Williamine, exportée dans des dizaines de pays, qu’un produit alcoolisé cher mais de qualité s’exportait très facilement. Il faut aussi rajouter, pour expliquer cet échec de l’exportation, que seuls les suisses ont le pouvoir d’achat suffisant pour payer un vin de Chasselas, même Premier Grand Cru, à 25 francs….et c’est très bien ainsi !

D’ailleurs, comment exporter dans un pays européen du Chasselas de Genève alors que Coop importe ce même cépage d’Allemagne à bas prix et en grande quantité ? Tout ceci car notre législation ne permet pas une production rentable de Chasselas Romand…

Je ne sais plus qui disait « Avec les amis que j’ai, je n’ai pas besoin d’ennemis » mais ce qui est sûr c’est qu’avec le courage de nos politiciens nous n’avons pas besoin d’espérer un jour sortir de l’ornière de l’exportation. Et pourtant, c’est grâce à des politiciens visionnaires que l’Autriche exporte aujourd’hui 61 millions de bouteilles. On ne le répètera jamais assez, nos politiciens n’arrivent pas à s’inspirer de ce que l’Autriche a réussi dans l’hôtellerie, avec un financement étatique facilité, ainsi que dans la revalorisation de leurs vins via une excellente législation suite aux scandales de vins frelatés des années 80.

Pour notre parlement, l’agriculture rentable est morte, alors, pour se donner bonne conscience, on donne aux paysans des subventions pour survivre mais jamais pour innover. Et quand on ne sait plus quoi faire, on ressort d’un tiroir le « blocage financement » qui fut peut-être utile en 1986 mais qui, de nos jours, témoigne d’une absolue incompétence des pouvoirs étatiques.

La chimie a ses lobbys au Conseil National, idem pour les banques, les transporteurs et les autres secteurs industriels, mais le lobby viticole n’existe plus depuis longtemps ! Quand je lis dans la presse qu’en novembre 2012 le Conseil Fédéral décide de ne pas abroger les 70 cl alors que ça aurait enfin permis meilleure visibilité du prix des vins on croit cauchemarder !

Lorsque j’ouvris mon œnothèque en 2001, je pris moi aussi mon bâton de pèlerin pour exporter des vins. Je jetai mon dévolu sur un hôtel cinq étoiles de Chamonix et je leur vendis le concept : « Les Vins du Massif du Mont Blanc ».

Sous mon impulsion, l’établissement proposait des vins du Val d’Aoste et valaisans (Humagne Rouge, Cornalin, Petite Arvine des deux vallées) que je leur fournissais et qui étaient servis en parallèle avec leurs crus savoyards.

Le succès était au rendez-vous, l’expérience fut enrichissante et fructueuse mais je m’essoufflai au bout de quatre ans car je pouvais vendre ce type de spécialités tout aussi facilement depuis mon oenothèque, sans passer, en douce, la douane du Châtelard… L’exportation flattait mon ego mais usait ma bonne volonté.

Pour mieux vendre nos vins en Suisse, en acceptant que notre export se concentre sur nos millions de touristes et nos concitoyens mieux informés sur la spécificité de nos crus, ne faudrait-il pas cesser tout subventionnement pour vendre nos vins à l’étranger ? Ne faudrait-il pas légiférer pour renforcer nos vins haut de gamme, notre marketing national et enfin nous donner les moyens d’élaborer des vins de table suisse rentables ?

Actuellement, j’estime à 75% la part de vins valaisans mis en bouteilles hors canton, est-ce cela notre vision du futur pour asseoir la réputation des vins de terroir, de l’authenticité? Peut-être que le fait de mettre en bouteille sa production à Lucerne donne une impression d’exportation ? Poser la question c’est y répondre.

Quant à moi, si le marché chinois m’ouvre les bras, je préfèrerai toujours exporter les vins de mes domaines aux français, autrichiens, allemands, hollandais ou bâlois qui viennent me rendre visite à Leytron. Tant que la législation ne changera pas, chacun fera les choses à sa manière et au train où vont les choses, tant que nous nommerons des banquiers au service de la viticulture, les lois ne changeront pas et le marché continuera sa mutation vers l’importation plutôt que vers l’exportation. Des centaines d’hectares de vignes vont se retrouver en jachère, et pas forcément les vignes de plaine, faciles à mécaniser, tout ça parce que nous avions des idées mais pas de courage politique…..dommage !

« Le temps malgré tout a trouvé la solution malgré toi » Socrate

Xavier Bagnoud

Ingénieur Œnologue HES