Quelques idées faciles à réaliser pour mettre le vin, droit dans ses bouteilles….

En parcourant les caves à longueur d’années et en côtoyant de nombreux clients dans mon œnothèque, je m’enthousiasme souvent des propositions empreintes de bon sens que beaucoup d’œnophiles professionnels ou non peuvent exprimer.

Je vais tenter de résumer les plus aptes à apporter le renouveau que tout vignoble se doit d’intégrer à périodes régulières.

Certaines ont déjà été soulevées, même de façon redondante, dans quelques-unes de mes interventions sur ce blog. Toutefois, ça me fait plaisir d’entendre que bon nombre d’acteurs partagent un avis commun qui me semble juste et défendable.

J’ai pu également constater que certains de mes points de vue ont déjà fait bouger certains dogmes et suscitent un débat parfois vif mais toujours constructif. Pour cette raison, il m’a semblé utile d’établir une synthèse des points les plus utiles au progrès de notre secteur d’activités en résumant les avis que mes chroniques ont engendrés.

Durant ces trente dernières années, les habitudes de consommation, le rapport qualité/prix ainsi que l’attente de la clientèle ont changé considérablement. A contrario, la législation n’a bénéficié que de petites réformes, souvent plus influencées par des besoins économiques que par des soucis qualitatifs.

Pour exemple, on baisse les quotas de production lorsque les stocks d’invendus sont importants. Par contre, on ne les diminue jamais pour améliorer la concentration d’un cépage comme le Cornalin, toujours limité à 1,2 kg/m2, ce qui demeure excessif pour ce type de vin.

Voici le florilège des douze meilleures idées qui ont noircit mon carnet de notes durant ces derniers mois :

1 : La législation qui concerne les rosés doit être modifiée. Actuellement, la Dôle Blanche est considérée comme un vin blanc, alors que l’Oeil de Perdrix est classé dans les vins rouges.

Ceci est d’autant plus ridicule que d’un point de vue légal, ces deux vins peuvent être élaborés à 100% à partir de Pinot Noir.

Une autre aberration est que la Dôle Blanche est un vin blanc, que l’on peut l’assembler à 15% avec du Sylvaner ou de la Petite Arvine, mais pas avec un Œil de Perdrix. Bien malin qui pourra le comprendre.

2 : La Suisse doit impérativement uniformiser ses contenants à 75 cl, 50 cl et 37.5 cl, car nous sommes le dernier pays au monde à utiliser en parallèle la 70 cl et la 33 cl, dans le seul but de tromper le consommateur concernant un prix qu’il peut croire identique, alors que le volume diffère de 7% environ. Pour résumer, en achetant une 70 cl, le consommateur paye deux fois la TVA à quelques détails près.

Les fédérations de consommateurs devraient tout simplement demander le boycott des encaveurs qui ne veulent pas s’aligner sur le format européen.

D’autre part, quelques encaveurs proposent encore des listes de prix sans TVA, ce qui est contraire à la loi. J’ai encore vu récemment, dans une cave de Chamoson, un Fendant 70 cl à 12 francs avec le prix affiché sans TVA. Ramené à la 75 cl avec TVA, on avoisine les 14 francs. On donne une image de vin au prix plus doux, alors que ce n’est pas le cas.

3 : Le laboratoire cantonal valaisan vient de nommer un « Monsieur Chien », afin de mieux gérer cette nouvelle problématique de société. Le monde viti-vinicole mériterait largement de se voir désigner un « Monsieur Vin », sous la juridiction du chimiste cantonal, afin de mieux informer à la fois les producteurs sur des problèmes techniques, de lutter contre certaines fraudes et d’informer plus efficacement la clientèle et la presse sur l’actualité viti-vinicole.

4 : Chaque propriétaire de vignes reçoit avant les vendanges un « acquit » ou droit d’encavage en fonction de la taille de la parcelle. Par exemple, celui qui possède 1000 m2 de Muscat reçoit le droit d’encaver 1200 kilos ou 960 litres de vin.

Dans le canton de Vaud, on déclare les litres encavés en fonction de l’acquit, ce qui permet d’effectuer des pressurages plus doux et d’éliminer plus généreusement les bourbes et les lies (dépôts).

Par contre dans le canton du Valais, on est obligé de déclarer uniquement les kilos encavés, ce qui ne donne aucune marge de manœuvre qualitative au pressurage ou lors des soutirages. Cette situation doit urgemment changer, au bénéfice du financement de la qualité.

D’autre part, il est possible de produire moins sur une parcelle de Muscat et de compenser ce manque avec une production supérieure, par exemple sur une vigne de Chardonnay. C’est ce qu’on appelle la globalisation des acquits ou porte ouverte à la surproduction d’une partie pour compenser la qualité de l’autre.

Avec cette situation, un encaveur pourrait étiqueter des bouteilles en Viognier, sans en posséder un seul cep, alors que c’est en réalité de l’Aligoté vu qu’en plus d’être globalisés, les acquits de blancs ne mentionnent pas de nom de cépage.

Les vignes en plantation ne produisant aucun raisin durant 2 ans reçoivent également un acquit avec une nouvelle compensation possible avec d’autres parcelles en surproduction. Encore une fois, le législateur est trop souple et donne une image de contrebandier au vignoble.

On le voit facilement, la législation doit aller dans le sens d’une logique qualitative. On l’a encore vu cette année, si un organe de presse met le doigt sur certains points faibles de nos pratiques, le consommateur est toujours déçu des us et coutumes d’un autre temps.

Bien entendu, ce point 4 est un sujet très sensible mais il serait plus compréhensible pour notre clientèle que chaque parcelle reçoive un acquit avec le nom du cépage et le droit de production.

5 : Le texte légal concernant les adjonctions entre vins de même catégorie est le sujet star de l’année, suite notamment à l’article du Temps ou on comparait cette pratique au scandale de la viande de cheval dans les lasagnes. Ce que nous avons fait pour le Chasselas (100% pur) peut se faire pour d’autres cépages aromatiques (Muscat-Petite Arvine).

On pourrait diminuer le droit d’adjonction de 15 à 5% afin de permettre une certaine flexibilité pour garder les cuves pleines et à l’abri de l’oxydation, tout en profitant de démontrer davantage de clarté sur cette pratique.

Autre exemple, on devrait aussi donner la possibilité de permettre l’assemblage des trois Pinots (Blanc, Gris et Noir).

Je m’explique : Si en encaveur désire élaborer un Pinot Noir en vin rouge, et qu’il désire l’assembler avec une faible proportion de Pinot Gris et Blanc surmaturés, pour proposer à sa clientèle un vin rouge doux, il n’en a pas le droit. Par contre, l’Ordonnance permet d’incorporer 15% de Dôle Blanche à de la Petite Arvine. Cette simple démonstration permet de demander le dépoussiérage urgent de nos lois.

6 : Ce que Coop Suisse (qui est le plus important négociant de vins en Suisse) fait pour informer au mieux sa clientèle, on devrait l’imposer à l’ensemble de la profession. En effet, Coop indique toujours le lieu de mise en bouteilles sur leurs étiquettes.

On estime à 75% le volume de vins de certains cantons comme le Valais, mis en bouteilles dans d’immenses usines de conditionnement à Lucerne ou Bâle. L’indication du lieu d’embouteillage permettrait aux petits artisans d’expliquer pourquoi leurs vins se retrouvent plus chers à la vente, et cela valoriserait ce que les Bordelais ont su conserver avec l’indication « Mis en bouteilles à la propriété ou au château ».

Le consommateur aime désormais savoir la vérité et toute la vérité sur ce qu’il achète, et pas seulement que le vin contient quelques sulfites ou 13% Vol. d’alcool.

7 : Notre vignoble a largement la capacité de produire des vins de pays de deuxième catégorie, rentables à la fois pour le vigneron et pour le négociant. Pourtant la législation actuelle qui est la même pour l’ensemble du vignoble, qu’il soit à 350 mètres ou 900 mètres d’altitude, ne permet pas ou trop timidement la valorisation de ce type de vins. Cette modification de l’Ordonnance permettrait peut-être d’éviter le bradage ou la volatilité des prix de certains vins en grande surface.

On pourrait aussi imaginer un ballon d’oxygène pour les vignerons en mettant sur pied, deux semaines avant les vendanges, une campagne nationale de raisins de table.

A fin novembre, quelques semaines après les vendanges, la promotion de vins primeurs bus et pissés dans l’année feraient également plaisir à la clientèle.

8 : Maintenant que certains vignobles ont enfanté d’un règlement Grand Cru, il s’agit absolument d’en encourager et d’en valoriser la production par diverses mesures incitatives, et en leur bloquant un budget marketing conséquent.

Pourquoi ne pas également obliger le 15% de chaque entité à être produit selon les normes Grands Crus, avec à la fin la dégustation obligatoire qui déterminerait, comme c’est déjà le cas, qui produit le bon grain et qui produit l’ivraie?

9 : L’Etat doit protéger les fournisseurs de vendanges en obligeant l’Interprofession, via une Ordonnance, à fixer un prix indicatif fixe de la vendange, et non pas volatile.

L’Etat doit enfin légiférer sur le commerce de la vendange, en obligeant les caves à annoncer leurs prix d’achat et les périodes de paiement, avant le début de la récolte. Cela éviterait aux vignerons des déceptions, voire des banqueroutes, à l’aube des Fêtes de Noël.

10 : L’étiquetage doit être plus clair, concernant en particulier les vins contenant du sucre résiduel de plus de 5 g/l, afin d’informer le consommateur si un vin blanc est sec, moelleux, doux ou liquoreux. Le système des « Abeilles » pour les Amignes de Vétroz est une piste qui fonctionne à merveille.

Si le taux de sulfites total dépasse les 250 mg/l, on devrait aussi indiquer sur l’étiquette sa teneur.

11 : Les Interprofessions doivent organiser plus régulièrement et avec certains critères contraignants, des modules de formation continue sur le marketing, les vendanges en vert, le rapport feuille/fruit, le choix du moment de la récolte, le tri des raisins, la législation de base et autres sujets d’intérêts communs, qui sont largement lacunaires au sein des vignerons et des encaveurs. Ceci bien entendu afin d’inculquer à l’ensemble de la branche viti-vinicole une impulsion orientée vers l’authenticité.

12 : Plutôt que d’encourager un blocage financement pour aider des caves en difficulté, l’Etat devrait, comme ce fut le cas en 1930, financer la création d’une nouvelle Coopérative par canton qui en ressent le besoin.

En effet, seule une coopérative peut jouer un rôle de régulation des marchés, de fixation des prix et de politique commune.

On le constate soit avec Migros, Coop ou Provins Valais, la durée de vie « morale » d’une coopérative est d’environ 60 ans. Le Grand Management prend alors le dessus, et les sociétaires passent après l’esprit de gestion à l’américaine. Les décisions sont ensuite prises par un nombre très restreint de cadres, qui se croient dans une Société Anonyme, et le marché se déséquilibre, tant le rôle de la coopérative est essentiel dans la branche agricole.

N’oublions pas que si le législateur prévoit certains avantages aux coopératives, c’est aussi pour jouer ce rôle de tampon économique où l’argent roi passe après l’intérêt des sociétaires.

On l’a très bien vu en Valais, dès que Provins Valais a perdu de sa puissance, le marché du vrac s’est organisé en cartel, le prix du raisin a baissé et le nombre de petites exploitations a augmenté, ce qui a dilué la visibilité d’ensemble des marques et des produits.

Lorsque chacun occupe un marché de niche, on ouvre la place aux vins d’importation pour les grandes opérations commerciales avec des moyens financiers plus importants entre autres alloués par l’Union Européenne.

On pourrait citer encore d’autres réformes ou idées novatrices, chacun y allant de sa proposition plus ou moins réalisable. Pourtant, aussi insignifiant ou au contraire aussi révolutionnaire qu’il soit, tout progrès est tôt ou tard bénéfique à l’ensemble des parties. Pour l’instant, c’est encore les négociants et autres grossistes qui empêchent toute réforme et seuls les producteurs acceptent encore l’inacceptable.

« Croire au progrès ne signifie pas qu’un progrès ait déjà eu lieu » Franz Kafka

Xavier Bagnoud

Ingénieur Œnologue HES