Dégustation de vins effervescents suisses en 83 chapitres. (IV)

Connaissant ma réelle passion pour les vins effervescents et plus particulièrement ceux élaborés en méthode traditionnelle ou champenoise, Laurent Probst, l’organisateur de cette « immense » état des lieux du « péteux » suisse, m’a gentiment convié à me joindre au panel d’œnologues, journalistes et autres experts à sa dégustation de Colombier.

Ces six heures de travail m’ont permis de tirer des enseignements intéressants tant pour mon métier d’œnologue-éleveur de brut que pour mon activité de gérant d’œnothèque.

Tout d’abord, j’ai été surpris de constater que peu de caves désirent millésimer leurs flacons tant il est pourtant certain que très peu d’entre elles pratiquent, comme en Champagne, l’assemblage de vins issus de plusieurs récoltes. Je pense que si l’on a un rythme annuel d’élaboration sur un seul millésime, l’inscription de ce dernier pourrait être profitable d’un point de vue commercial et aurait le mérite de plus de clarté.

 Dans la grande majorité des cas, la visibilité de l’étiquetage reste sommaire et trop souvent incomplet. Il est décevant d’observer que les caves ne renseignent pas suffisamment leur clientèle sur les cépages, la méthode utilisée et le niveau de la liqueur d’expédition (extra-dry, brut, sec, demi-sec).

 Nous avons d’ailleurs dégusté quelques «demi-sec» et quelques « sec » (le sec se situe entre le brut et le demi-sec au niveau de la teneur en sucres résiduels).

 Force est de constater que sur ces produits là, il n’y a pas grand chose de très intéressant à relever d’un point de vue œnologique et gustatif tant il est vrai que sur des vins effervescents, la douceur résiduelle masque différents critères d’évaluation (acidité, arômes, équilibre, vinosité globale, qualité de la mousse et de la bulle). Il s’agit par contre de sympathiques vins de plaisir réservés aux « becs à bonbons ».

 Le marché de niche que ces effervescents plus doux occupent ne devrait pas se développer et c’est ce que nous constatons d’ailleurs depuis plusieurs années en Champagne où ces appellations sont presque en voie d’extinction. La dénomination « sec » a d’ailleurs quasi disparu de par le monde car elle porte à confusion, le mot « sec », ici, désignant un effervescent doux.

 Sur l’ensemble des 83 échantillons, j’ai trouvé que le niveau d’ensemble de la pression dans les bouteilles était très bon, avec pratiquement pas de vins à la bulle insuffisante. Par contre, très peu présentaient une belle crème (mousse blanche au sommet du liquide) et à la fois une belle finesse de bulle qui furent présentent dans à peine une douzaine d’échantillons.

 J’ai eu personnellement une bonne dizaine de grands coups de cœur et ce fut uniquement des bruts. Ces échantillons valaient largement un excellent vin de Champagne à des prix toujours corrects mais ils ne furent jamais à la hauteur des plus grands, comme Krug ou Roederer par exemple.

 J’ai particulièrement apprécié le Bouvier Brut neuchâtelois dont le vin fut servi au mariage de John F. Kennedy et Jacqueline Bouvier. Les grandes maisons traditionnelles comme Mauler font également parler leur expérience bicentenaire dans l’élaboration de vins mousseux et le petit nouveau valaisan Clos de Tsampéhro se plaça à mon sens dans le trio de tête. Une mention particulière également pour l’Amignonne de Romain Papilloud sur un cépage que je n’aurais jamais cru adapté à une prise de mousse.

 Les rosés n’ont que peu retenu mon attention tant il est vrai que le savoir-faire en la matière est très complexe et qu’apparemment peu d’œnologues maîtrisent cette technique en Suisse.

 Je l’ai relevé dans une de mes chroniques sur ce blog, l’essentiel d’un grand vin effervescent se joue dans la maturité optimale de la vendange, le choix des cépages et dans le pressurage.

 C’est certainement ce qui est le plus dur à maîtriser et ça s’est ressenti de nombreuses fois dans la qualité de la crème et de la bulle. Par contre, quand c’était réussi, certains échantillons frisaient la perfection.

 Il faut mentionner que relativement peu de maisons, une fois le vin de base terminé, font elles-mêmes la prise de mousse, le remuage et le tirage final. Une grande majorité sous-traite cette spécialisation à des experts dont le plus avisé est à mon sens Xavier Chevalley à Cartigny. Ses poulains se comportèrent à merveille et l’intransigeance de son travail se voit dans le verre avant même de le porter en bouche.

 Avant cette dégustation, j’étais persuadé que souvent un effervescent élaboré selon les règles de l’art en cuve close tenait la dragée haute à la méthode traditionnelle. Pourtant, sur les 83 échantillons, je ne classerais aucun vin issu de la méthode en cuve close dans le peloton de tête et même si parfois le travail était bien fait, le fossé pour présenter du haut de gamme par ce moyen reste quand même important.

 J’avais demandé à mon apprenti-caviste Sébastien, qui faisait office de sommelier pour présenter des séries à l’aveugle, d’insérer deux vins de Champagne de renom, à plus de 40 francs la bouteille, comme «pirates », au milieu des mousseux suisses. Ils furent relativement peu appréciés par les dégustateurs et si l’un des deux sauva les meubles, le second est à classer dans le dernier tiers. J’aurais certainement du en choisir de plus renommés et donc plus chers mais ça dénote bien du bon niveau de la dégustation.

 En conclusion, et ce n’est pas étonnant, je noterais tout d’abord que nous vîmes de tout, du vin qui n’avait pas demandé à mousser et qu’on avait choisi au hasard pour cette « mission » jusqu’à certains grands champions dignes des plus grands. Ce qui fait surtout la différence entre les effervescents suisses et les grands Champagne relève plus d’une vinosité et d’une complexité aromatique inférieures que de part la qualité de la crème et de la bulle. Les vins mousseux suisses sont d’un très bon rapport qualité-prix et permettent de dégager de nombreux points de satisfaction.

 Je reste persuadé que le vignoble suisse dispose des terroirs, des vignobles et des cépages propices à l’élaboration de vins effervescents parmi les meilleurs du monde. On a d’ailleurs vu dans le Grand Duché du Luxembourg des produits encore inégalés dans nos contrées. Il suffirait d’un peu plus de passion et d’intérêt pour y arriver. Par contre, avec ses réserves sur sept millésimes pour les assemblages finaux, la Champagne garde une sérieuse longueur d’avance car peu les pratiquent chez nous. En outre, un élevage sur lattes de 36 mois, seule façon d’atteindre la perfection, reste l’exception et c’est bien dommage.

 Je suggérerai à l’organisateur de faire un nouvel état des lieux dans quelques mois mais en y incluant les meilleurs crémants, Cava et Champagne afin de tirer encore plus d’enseignements que seule la dégustation à l’aveugle permet de tirer.

 Pour vos fêtes de fin d’année qui approchent, n’oubliez pas les trois règles de base liées au service des vins effervescents :

1 : Choix du verre adapté.

2 : Température de service entre 3 et 5 degrés Celsius.

3 : Servir des bouteilles stockées à l’abri de la lumière tant il est vrai que ce genre de vin ne la supporte particulièrement pas.

 

Joyeuses Fêtes à tous et à tout bientôt pour une prochaine chronique.

 Xavier Bagnoud

 
 

Ingénieur Œnologue HES