A l’avenir, le progrès passera par un retour à plus de tradition

Avant d’aller chaque année dans une des trois grandes expositions de matériel viti-vinicole de Stuttgart, Milan ou Bordeaux, je me pose souvent la question de ce qui pourrait encore m’étonner voire même, et c’est plus rare, m’enthousiasmer.
En œnologie, le parc technologique a pratiquement atteint son apogée dès 1996. On améliore certes le pilotage automatique de certains filtres ou pressoirs, mais l’oenologue moderne est désormais comblé. On attend quelques innovations, entre autre exemple sur des appareils de Flash-Détente (tehnique qui permet d’extraire le 70 à 90% de la matière colorante des peaux de raisin avec un procédé sous vide et de dépression), mais on n’a pour l’instant jamais réussi à les miniaturiser à l’échelle d’une exploitation de taille «suisse».
La tendance en cave est plutôt de revenir aux cuves en bois (foudres) pour délaisser un acier inoxydable qui réduit les vins (la réduction est le contraire de l’oxydation, sous l’effet des fermentations, elle engendre des arômes fermés, voire de chou, d’œuf pourri ou bock).
On s’équipe certes de tables de tri de vendanges ultramodernes et de pressoirs qui sélectionnent électroniquement les bons des mauvais jus. Mais vu que l’élaboration d’un produit exclusif passe sans conteste par un retour vers un élevage doux, l’œnologue va plutôt écarter les systèmes de vinification ou de filtration trop modernisés et cherchera à diminuer la technologie en pigeant par exemple manuellement son Cabernet dans un bac de 500 kilos. Il a peut être fallu du temps, mais on commence à comprendre depuis 15 ans que l’essentiel du travail est dans l’apport à la cave d’un raisin de tout premier choix suivi d’une vinification se résumant à un minimum d’opérations.
Du coté viticole, depuis la montée en puissance de la biodynamie, on se contente d’améliorer quelques machines permettant de gagner quelques précieuses heures/hectare d’un travail de plus en plus coûteux.
Après des années de progrès et du «tout inox» on constate ainsi un retour à une modération de circonstance pour élever le meilleur raisin et à fortiori le meilleur vin possible.
Dans cette perspective, les plus grands progrès viti-vinicoles se feront à mon sens dans trois domaines :
 
1 : La gestion de la relation entre l’oxygène et le vin.
On ne sait pas encore exactement comment élever un vin durant ses périodes de réduction et d’oxydation ou plutôt d’oxygénation. Il est très difficile de gérer dans le temps un contact avec les fines lies et le rapport avec l’oxygène. L’échec de l’élevage en acier inox étant avéré (c’est juste propre et beau pour les yeux), il s’agit désormais de mieux connaître, soit en utilisant des cuves en bois ou en béton de moyenne taille (2 à 3000 litres), soit des installations de micro-oxygénation par injection, comment élever son vin en fonction de sa consommation future (bu jeune ou vin de garde).
 
2 : Une meilleure sélection des clones et perfectionner l’adéquation sol-cépage.
En sachant que rien que dans la famille du cépage Pinot Noir il y a plusieurs dizaines de clones, l’affinage des sélections, cépage par cépage, terroir par terroir, prendra encore du temps. On devra les rendre plus résistants aux maladies afin de diminuer l’utilisation de produits phytosanitaires. En outre, l’étude de l’influence précise des divers porte-greffes reste encore la grande inconnue.
Le plant de vigne est composé de deux «étages». Une vigne Vitis Vinifera qui est le cépage fructifère hors du sol et une vigne américaine stérile en fruits qui est la partie enterrée. Cette dernière, si elle permet de protéger les racines de la vigne des piqures du phylloxéra (un insecte venu des USA), empêche certainement de produire les meilleurs raisins. En effet, le point de greffe engorge le passage de la sève et il est très influencé par la nature du sol (calcaire, hydrométrie).
Peu de gens le savent, mais dans nos vignobles les racines de Syrah, Gamay ou Cornalin n’existent pas vu que nous utilisons celles des cépages américains résistants à cet insecte. En étudiant la manière de se passer ou d’optimiser les porte-greffes, il y aura certainement encore des progrès dans la qualité du futur raisin. La connaissance du terroir en y adaptant le meilleur cépage, le meilleur clone est un gage d’espoir en une qualité toujours plus pointue.
J’ai l’opportunité de travailler avec des marchands de vins chinois et on s’aperçoit que même si ce pays plante massivement de la vigne (désormais 6ème producteur mondial), nous garderons pour longtemps encore cette avance sur la connaissance du terroir en relation avec les bons cépages. J’en prends pour preuve un collègue œnologue valaisan chevronné qui a tenté de planter de la Petite Arvine dans les Côtes du Rhône et qui a du se résoudre à arracher la vigne au bout de 12 ans faute de qualité en cuve et ce malgré un climat rhodanien proche de celui du Valais. On a vu aussi les résultats souvent décevants quant à planter des cépages bordelais en Australie, en Afrique du Sud ou au Chili et qui donnent l’impression de tous provenir d’une seule et même région.
 
3 : La vendange en vert  et le rapport feuille-fruit.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, on ne cerne pas encore précisément le moment propice pour régler la récolte en été (vendange en vert). Si on coupe les raisins trop vite, la vigne va compenser en gonflant les baies restantes, et ceci d’autant plus si la pluie est généreuse. Si on coupe à mi-été ou quatre semaines avant les vendanges, la plante n’aura peut-être plus le temps de concentrer ses arômes, acides et sucres comme on l’aurait voulu.
Par ailleurs, on n’a jamais pu prouver exactement quel est le rendement idéal d’un cépage. Une Syrah à 300g/m2 est-elle vraiment meilleure qu’à 600 ou 800 g/m2 ? On a également établi qu’un Chasselas en dessous du kilo/m2 sera moins gouleyant et plus amer qu’à 1.2 ou 1.4 kg/m2. Il y a à mon sens encore des travaux d’études à effectuer sur la régulation de la récolte en fonction du cépage et du millésime.
Au niveau de la vendange proprement dite, on ne sait pas si une vigne est vraiment mûre de manière homogène. Certains s’essaient à la récolte en plusieurs étapes mais ceci de manière encore empirique tant le jour J est encore difficile à déterminer.
Pour terminer, les chercheurs se tâtent toujours pour désigner le meilleur système de taille et la surface foliaire optimale qu’il faut laisser pour mûrir au mieux les raisins.
 
Je ne vois objectivement pas d’autres domaines où l’on pourra faire des progrès significatifs, capables de produire des vins spectaculairement meilleurs. On aura certainement plus de réponses dans quelques années si on cible les priorités qualitatives. En attendant chaque vigneron, chaque œnologue, essayera d’étudier au mieux ses cépages, ses vignes, son terroir et son rapport avec l’oxygène lors de l’élevage. Chaque micro-terre renferme ses secrets que seul son propriétaire peut révéler à l’issue d’un travail acharné. Les Romanée Conti et Pétrus en sont les plus éclatantes démonstrations.
On citera un quatrième progrès souhaité, c’est une meilleure éducation de nos consommateurs afin de les persuader de leur bon goût, de les rassurer dans leur choix, tant il est vrai que jusqu’à ce jour, le prix ou l’étiquette sont des critères trop souvent privilégiés lors de l’acte d’achat.
 
Nous cédons tous à cette manie de deviner ce qui est, au lieu de constater.
Emile-Auguste Chartier
 
Xavier Bagnoud
Ingénieur Œnologue HES