5 questions à David Houlmann, responsable du domaine viticole Hôpital Pourtalès à Cressier -Neuchâtel- (1ere partie) :

 
1. David, vous êtes oenologue et originaire de La Chaux-de-Fonds, une ville qui est certes propriétaire de vignes sur le littoral neuchâtelois -elle le doit à un leg – mais qui n’a pas de vignoble sur son cadastre (elle est située à 1000 m d’altitude). Pouvez-vous évoquer votre parcours ? Comment vous êtes-vous intéressé -passionné- au vin, puis formé à Changins et enfin venu à travailler au Domaine Pourtalès ?
Je suis né au coeur des Montagnes neuchâteloises en 1982 dans la maternité de l’Hôpital de La Chaux-de-Fonds et j’ai grandi parmi les montagnons. L’arc jurassien n’a certes pas ou peu de vigne, toutefois, il détient quantité d’autres richesses que ceux qui savent apprécier la douceur de la neige et comprendre le caractère du sapin peuvent percevoir.
En 2002, je termine ma maturité à L’Ecole supérieure de Commerce des Montagnes neuchâteloises. Lors de notre séminaire de fin d’études au sein de cette institution, il nous est demandé de mener une réflexion sur le « bonheur » puis d’approfondir un sujet lié à ce thème général. Accompagné d’un bon camarade de classe et de Laure, devenue mon épouse par la suite, nous décidons de nous pencher sur « Le bonheur dans le vin ». Ce travail nous amènera à explorer le monde du vin sous des angles très variés (historique, social, économique, artistique, religieux, etc.). La diversité des personnes qui le composent, qui toutes ont une vision différente de cette boisson, m’intrigua et me motiva à poursuivre dans cette voie.
Pour débuter la formation d’oenologue à l’école d’ingénieurs de Changins il me fallait accomplir un stage auprès d’un vigneron. Le hasard a voulu que je me retrouve dans les terrasses de Martigny à soigner les Gamay et les Syrah de Gérald Besse. Cette expérience, outre un bagage pratique indispensable pour naviguer sainement dans notre métier, me plongea dans la réalité du terrain ou le franc-parler, le courage et la méthodologie sont les maître-mots pour travailler avec une Mère Nature tant capricieuse que généreuse.
Le métier de vigneron est le plus respectable de toutes les professions qui entourent le vin. Il est rude, parfois injuste, mais c’est là que se joue toute la qualité du produit. Bien sûr, les techniques œnologiques et de ventes actuelles permettent de compenser bien des erreurs en vigne. Cependant ces dernières gangrènent petit à petit l’âme même du vin, qui n’est autre que son terroir. C’est bien là ce qui démarque ce mystérieux breuvage des autres boissons : il a un lieu de naissance dont il est fier au point de l’écrire sur son habillage.
La période passée à Changins fut passionnante, tout comme l’est le métier d’œnologue. En effet, comprendre le vin signifie avoir des notions de géologie, météorologie, biologie, chimie, physique, technique, mécanique, économie, management, commerce, etc. C’est donc un aller-retour incessant entre les secteurs primaire (vigne), secondaire (cave) et tertiaire (commercialisation) ce qui est exaltant mais demande ouverture d’esprit et rigueur.
En 2009, alors fraîchement devenus parents, nous partons mon épouse et moi habiter le « grenier » de Rome, c’est-à-dire l’Ombrie. En effet, le peuple pacifiste et agricole des étrusques a, depuis l’antiquité, nourri et abreuvé les romains, ses guerriers et ambitieux voisins. Reconnu comme la région mère de la cuisine Italienne, où l’art de bien manger et bien boire va de soi, elle s’illustre aussi par ses bourgs médiévaux perchés sur les collines comme Orvieto ou Assise. Cette expérience m’a permis de mettre en pratique la « méthode Changins » en confrontation directe avec l’œnologie et la mentalité italienne, ce qui fut très constructif et instructif.
Ayant appris que M. J-P Ruedin prenait sa retraite et quittait le Domaine Hôpital Pourtalès, mon épouse et moi nous sommes donc proposés pour reprendre cette particularité Cressoise. 2011 fut l’année du transfert entre l’Italie et la Suisse et la reprise en main progressive du Domaine. En 2012, nous nous engageons, avec l’aide des membres du Conseil de Fondation de L’Hôpital Pourtalès, à mettre en place différents projets comme l’amélioration de l’accueil à la cave à Cressier ou la remise à neuf du site internet.
2. Le Domaine de l’Hôpital Pourtalès possède douze hectares de vignes et dispose de trois cépages. Au regard de la grande majorité des caves de la région des Trois-Lacs, cela fait peu alors que les amateurs apprécient toujours plus les vins dits de « spécialités ». Est-ce aussi votre avis, et pensez-vous dès lors que l’encépagement du domaine pourrait -voire devrait- évoluer dans les années à venir ? Si c’est votre souhait, et en fonction des terroirs à votre disposition, auriez-vous déjà (*) une idée des cépages qui pourraient être plantés prochainement ?
Le Domaine Hôpital Pourtalès possède trois cépages et produit cinq vins : Chasselas, Non filtré, Œil de perdrix, Pinot noir, Chardonnay. Même, si je comprends que certaines caves régionales se soient axées sur une diversification poussée de l’encépagement, je pense que le Domaine Hôpital Pourtalès ne devrait pas suivre cette voie. En effet, dans les périodes plus ou moins difficiles traversées par les vins de Neuchâtel, nos cépages traditionnels ont su faire leurs preuves et font partie de notre patrimoine. Je pense qu’il en va de l’identité viti-vinicole même de notre région et qu’une cave aussi ancienne et chargée d’histoire que la nôtre doit savoir ne pas sauter d’une mode à l’autre en cherchant à planter toujours ce qui plaît.
Cependant, ceci n’empêche en rien l’amélioration et la prise en considération de l’évolution de la consommation. C’est la raison pour laquelle le Domaine Hôpital Pourtalès dessine actuellement les plans d’un nouveau chai à barriques pour permettre une montée en gammes de nos produits en travaillant subtilement avec le bois. Nous mènerons également une investigation pour mieux individualiser nos différents terroirs et mettre en valeur nos cépages traditionnels. En définitive, nous chercherons à nous démarquer non pas par un nouvel encépagement, mais plutôt par la mise en valeur des particularités de notre terroir de l’Entre-deux-Lacs.
3. Et le bio « dans tout ça » ? Daniel Dufaux, président de l’USOE (Union Suisse des Oenologues), milite pour un usage des levures indigènes lors des fermentations alcooliques, ce qu’il fait d’ailleurs à la maison Henri Badoux à Aigle (il s’indigne clairement de l’usage de levures exogènes de façon systématique). Il m’a aussi laissé entendre qu’une évolution vers une viticulture toujours plus axée vers le bio, était un avenir logique pour la filière viticole Suisse. Votre collègue Christian Vessaz, du Cru de l’Hôpital à Môtier dans le Vully, fait plus que des essais en biodynamie (près de la moitié de la superficie à ce jour, une part qui progresse d’année en année). Le bio « trotte -il » déjà quelque part en vous pour le domaine Pourtalès ?
Sans prétendre que nous passerons un jour sous le cahier des charges BIO, je pense que toute personne responsable et visionnaire milite pour une agriculture saine et cherche à nourrir de manière saine les consommateurs.
A mon avis, le BIO est au début de son ascension et prendra de plus en plus de force. Un vigneron habile réalise que son rôle n’est pas seulement de cultiver du raisin à tout prix. Il cherche au contraire à faire fonctionner un système complexe qui comprend des propriétés chimiques, physiques, biologiques et humaines propres à son terroir. Prenons l’exemple des levures indigènes : ces dernières doivent, au même titre que le raisin, être cultivées sur les parcelles de vignes. Cela implique donc la prise en considération des micro-organismes positifs qui se trouvent au sein de notre vignoble et, par conséquent, l’adoption de techniques culturales adaptées. C’est vers ce genre de piste que s’oriente, selon moi, l’œnologie moderne. On pourrait dire qu’après la génération d’œnologues chimistes, qui ont contribué considérablement à la compréhension et à l’amélioration des vins, est arrivée l’ère de l’œnologue biologiste avec une vision plus écoresponsable propre à son temps. Le BIO est le grand défi agricole de notre génération, il nous faudra cependant du temps pour atteindre nos objectifs.
(suite à venir prochainement)