Je te salue, l'Abbet ! Toi, et tes vins pleins de grâce

Un drôle d’homme que cet Abbet. Pas davantage prophète que prédicateur, il est vigneron. Et s’il aime à vous faire goûter ses vins, autant vous le dire de suite : la messe peut être longue. Mais jamais on n’en boira jusqu’à la lie.
Christophe Abbet est un producteur de vins personnels, et il est certainement le plus casanier des producteurs de vins du Valais. Un ermite quoi, cet Abbet !
Envie ou besoin d’en savoir plus ? Comme je vous comprends ! Attention, homme et moment rares !
Sympa, il aurait pu fermer la porte de son carnotzet, et ne plus répondre au téléphone. Bref, choisir de partir pour ne pas revenir. Nous laissant à notre amertume de la quasi heure de retard prise sur le rendez-vous qu’il nous avait fixé (fichue circulation de la traversée de la commune de Martigny). Nous l’avons fait attendre, ainsi que l’ami Hervé, que nous avons fait poireauter sous un soleil ardent devant la gare. Mille pardons à tous les deux.
Mais il est revenu, avec le sourire, et quelques petits sarcasmes au deuxième degré de temps à autre, signe de sa jovialité préservée. Et il nous a reçu, avec beaucoup de gentillesse et de patience (cinq heures de temps passées chez lui!) dans son caveau de dégustation de Martigny-Bourg.
Accrochez-vos papilles, vous entrez dans une zone de turbulence, des trous d’air sont annoncés. Carlingue suspicieuse, abîmée, déformée par le temps et les préjugés de l’oenologiquement correct s’abstenir. Danger.
Même pas vrai, Christophe respire la sérénité. Allez, esprit ouvert et curieux, bienvenue.
« Après cette dégustation, vous ne serez plus jamais les mêmes« , osa t-il nous dire, provocateur, avant de nous servir le premier vin, tiré d’une barrique. Nous (cinq adultes venus ici de notre plein gré), sommes chez Christophe Abbet, vigneron, oenologue (encore un!), un homme libre (enfin, va savoir). C’est un artiste aussi. Il apparait devant nous détaché de presque tout (de Changins également Christophe ?), calme.

Les vins dégustés en bouteille :
Chasselas de Fully 07 : vieilles vignes de 40 ans, dans le lieu-dit « les Avasiers ». Un vin fin, au joli nez de poire mûre, de citron, fraîchement acidulé, puis légèrement minéral. Jolie bouche grasse et élégante, persistante et vive aussi (pas de FML). Joli amer également. Un fendant très expressif, qui me plait beaucoup. Les baies ont été ramassées deux semaines après celles situées plus bas sur le coteau.
Petite arvine 07 : Nez dominé par les agrumes, très expressif. Beaucoup de finesse, de style, car le vin est vif (sec et sans FML), beaucoup de tension, malgré un léger creux en milieu de bouche. Un supplément de minéralité par rapport à l’autre PA du jour. Un autre style surtout. Le travail de remise en suspension des lies a été fait à trois reprises. Expressif et pourtant embouteillé il y a dix jours seulement. 1000 litres seulement. Il faudra se dépécher pour en avoir !
Gamay 06 Les Avasiers (Fully) : Joli fruit, un caractère légèrement acidulé. Je l’ai trouvé assez souple. Un gamay gouleyant et digeste.
Gamay 07 Les Avasiers : tiré de la cuve pour cette dégustation. Joli fruit (fraises). Davantage de structure, un vin qui a plus de mâche, grâce à une trame plus serrée, et qui reste vif. Belle longueur. Très apprécié.
Gamay vieilles vignes 07 (Fully), vignes virosées. Caractère sauvage au nez, le vin est dense, riche, gras, soyeux, velouté même.
Humagne rouge 06 « Tradition », de Fully : élevé en barrique. Nez assez fermé, avec des notes de réglisse. Un vin d’humagne minéral, tendu en bouche, sauvage comme il le faut, mais fin. Bonne longueur. Très apprécié. Un vin avec une vraie personnalité.
Syrah  07 : (cuve) Après une macération de huit mois, le vin a été pressé en mai. Il a été mis en bouteille dix jours avant notre passage. Une syrah plaisante, sur le fruit, avec des notes d’olive noire, de lière, de mine de crayon. Bouche charnue, de beau volume.
Syrah 2005 : Un vin de syrah gras, dense,mais aussi fougueux, sanguin même. Caractère minéral, j’aime sa droiture  et sa finesse. Jolie longueur.

Des pendus qui se portent bien !
C’est le moment de nous rendre à la cave, et de déguster des vins en cours d’élevage, dans leurs barriques :
Assemblage de Petite arvine et de chardonnay (60/40) : Un vin dans un style oxydatif, avec des notes complexes, où s’entremellent une sensation de fruits confits, la pomme blette, l’encaustique. En bouche, le vin est riche (avec des sucres résiduels) dense mais frais, long. Il possède une jolie finesse et un bel équilibre, seule une petite pointe d’alcool perturbe légèrement en finale.

Détente : Philippe, ravi, s’occupe de la Pipette, Christophe, lui, nous parle de l’eau pure de Martigny.

Parler d’eau chez un vigneron,  Mr l’Abbet, je vous jure (oh, pardon), ça me trouble.
Ermitage de Fully 2003 : Beaucoup de fruit pour ce vin opulent (raisins récoltés à 140° Oechslé) où l’on retrouve à nouveau un vin de type oxydatif et doux. Nez de mandarine, d’abricot, de noix. Bouche riche, sans lourdeur, de belle finesse et d’une grande longueur.
Ass. de Petite Arvine et de marsanne 2000 (oui, de l’An 2000!) : Nez de rancio, avec des notes de fruits confits, la bouche est grasse, riche, longue et le toucher de bouche est d’une grande douceur. Ce vin s’avère trop oxydatif pour devenir de l’Ambre.

Ambre 2003 : Ass. de PA et de marsanne. Nez de fruit et d’herbe aromatique (le thym). La bouche offre d’une grande richesse. La densité de la matière est bien contrebalancée par la fraîcheur. Un vin sans lourdeur.
Ambre 2006 : toujours un vin d’assemblage de PA et de marsanne surmaturées. Souvent à une proportion proche du 50/50. Nous avons goûté le vin dans les trois barriques. J’ai adoré le vin de la première, pour sa fraîcheur, sa tension et sa richesse. Un vin dense et droit, ciselé. Les vins des deux autres barriques se presentaient dans un registre un peu plus austère.
Ambre 2005 : Nous goûtons les deux barriques. C’est un peu une opposition de style entre les deux vins : fraîcheur et vivacité pour la deuxième, et davantage de richesse sur la première. Au nez, on s’emballe : fruits secs, camphre, thym (à nouveau), truffe blanche, mine de crayon. La première barrique (celle dont le vin me parait plus riche) est davantage marquée par la barrique. L’élevage n’étant pas terminé, on se dit que l’on a de la chance de déguster ce vin dès aujourd’hui et d’espérer le revoir.
Ambre 2004 :  Nez offrant une grande fraîcheur, avaec des notes d’abricot, de citron, de résine ainsi que d’acidité volatile. Bouche pleine, grasse, fraîche et longue.

Séquence partage : « Celui-là, je l’ai fait pour toi ».
La messe n’est pas encore dite :
Ambre 2002 : où « le coup de grâce pour la fin ». Je pense que l’émotion a gagné chacun d’entre nous lorsque Christophe a servi ce vin : tellement sirupeux qu’il en était silencieux quand, glissant de la pipette il heurtait nos verres. Plus personne ne crache, ni ne rend le précieux breuvage pour compléter la barrique. L’amateur redevient égoïste : que le vigneron se débrouille pour la compléter sa barrique! Thé noir, thym (encore!), camphre (le retour), citron, mélisse, la corbeille déborde! La bouche est d’une douceur et d’une longueur infinies. Malgré sa richesse, ce nectar reste frais et digeste. Alleluia, j’ai (re-)goûté au vin de messe de l’Abbet !
Un Abbet plein de malice, tenant en sa main une pipette plutôt qu’un calice ? C’est à Martigny-Bourg, et sa messe est belle.
Amen.
Laurent

Ce ne sont pas les caves du Vatican, pourtant, un Abbet veille dessus.