VdV opus 28 : Vino tourisme ? En Allemagne toute !

Vino-tourisme, un sujet bateau de chez bateau m’a t-on dit…
Bon, alors prenons-le ce bateau ! Direction la Mosel, chez le cousin Germain, en Allemagne.
Embarquement immédiat à Bernkastel-Kues pour une promenade au coeur de cette région. En Mittelmosel donc.
Oh, pas bien longue la ballade, une heure de temps seulement, à bord d’un bateau de tourisme prévu pour un bref mais important aller-retour régional. Notre bateau sera donc bâtiment oeno-touristique d’une certaine façon. A l’intérieur, on vous y sert un verre de riesling dans un bock traditionnel (idéal à vrai dire pour une coupe de glace, il l’est nettement moins pour déguster un cru de qualité).
Cela dit, l’important ici n’est pas ce que nous avons dans le verre, mais plutôt devant les yeux.
Départ en direction de Piesport, le bateau quitte le quai à proximité du célèbre Doktor, puis on remonte la rivière, vers Trier (Trèves, la plus vieille ville d’Allemagne). On passe sous le Burg (château médiéval), et l’on poursuit vers Mülheim, Brauneberg puis Piesport.
Ici, le bateau opère son demi-tour et nous repartons vers Bernkastel-Kues. Après avoir dépassé notre point de départ, nous descendons la rivière en direction de Koblenz (Coblence, qui a été une préfecture française je crois sous Napoléon), passons devant la cave d’Ernie Loosen, le Sankt Johannishof (nous y avions été reçu la veille ou l’avant-veille et avions acheté plusieurs vins encore disponibles), puis direction Wehlen, Graach, puis Zeltingen, Urzig, Erden, puis deuxième et dernier demi-tour pour notre bateau avant d’être de retour sur le plancher des vaches à Bernkastel-Kues.
A Graach, je vous invite à rendre visite à Willi Schaefer. N’ayez crainte, si Willi ne pipe rien au français, son épouse le parle parfaitement. Ses vins sont d’une grande pureté. La devise de Willi est : « être plutôt que paraître ». Hormis ses rieslings, Willi a une grande autre passion : les vins de st-Emilion.
Comme je suis pour laisser à César ce qui lui appartient, j’aimerai ajouter que mes rencontres avec Willi Schaefer n’ont pas été le fruit du hasard. Mes visites ont été motivées suite à un article sur les vignobles en pente paru en 97 ou 98 dans la revue européenne du vin Vinum.
Pas long disais-je ce petit voyage, mais quel dépaysement ! Des vignes à perte de vue, mais seuls quelques vignobles réputés produisent de grands vins, parfois de « très grands ». Les autres produisant des crus d’appellations régionales. Ils sont pour la plupart vinifiés par la coopérative, qui doit être l’une des plus grandes d’Europe.
Les méandres ou cingles de la rivière sont exceptionnellement serrés, ronds. La rivière serpente paresseusement. Ce n’est pas une route romantique a proprement parlé (elle existe par ailleurs). Mais cela en vaut la peine, sans l’ombre d’un doute.
Le spectacle est grandiose. Certaines vignes sont plantées à peine à deux mètres au dessus du niveau de la rivière comme dans le Brauneberger Juffer-Sonnenhr à …Brauneberg, où à Urzig, celles du Würzgarten, ainsi que les toutes proches vignes des vignobles Treppchen et Prälat à Erden. Quelques crus qui sont (ce n’est pas un hasard) parmi les plus réputés, pour ne pas dire légendaires de Mittelmosel. Certains vignobles portent des noms très imagés : Piesporter Goldtropfchen (Gouttes d’Or de Piesport). Quant au Würzgarten, c’est le jardin à épices.
Quasiment tous les crus accusent des déclivités phénoménales, comme les 70 % du Graacher Dompropst (on l’écrit habituellement Probst, mais un professeur de l’Université de Heidelberg, croisé chez Willi Schaefer, m’a assuré qu’il s’agissait d’une erreur, et que Propst était l’orthographe juste), le célèbre Doktor de Bernkastel, et bien d’autres, dont quasiment tous ceux que j’ai déjà évoqué.
La déclivité ne fait pas tout, pour la difficulté du travail du vigneron ici. Le sol est composé de petites ardoises (schiefer), d’autant plus glissantes que ces brisés sont instables et qu’il pleut tout de même plus souvent ici qu’à Collioure et Banuyls (fort jolis vignobles au demeurant, d’une région, la Côte Vermeille, que j’aime beaucoup, ainsi que certains vins d’ailleurs). Cette ardoise emmagasine la chaleur du soleil et la restitue durant la nuit. La déclivité permet également d’augmenter la température sur les plantes selon la fameuse loi de Lambert.
Les terrasses ont disparu dans cette partie du vignoble. Les vignes sont situées dans des à-pics sans contrainte. Il faut bien le reconnaître, malgré la beauté magistrale de l’ensemble, cela provoque aussi une certaine forme de monotonie.
Parfois, un gros rocher se dégage de l’uniformité de cette immense bande de vigne (plusieurs kilomètres continus si l’orientation face au soleil le permet). Parfois, une horloge solaire y aura été dessinée ou sculptée. Ce sont les fameuses « Sonnenuhr ».
Dans les vignes, vous apercevrez des monorails pour faciliter le travail des vignerons et de leurs employés. Vous verrez les mêmes dans le Lavaux et en Valais (en Suisse), où d’ailleurs, ils sont fabriqués.
monarail Dézaley
Dézaley, au coeur du Lavaux. Ce terroir produit des vins de toute beauté. Avec le chasselas !
Ah, ce soleil si indispensable, mais tout de même pas si généreux que cela. Heureusement, le cépage riesling convient parfaitement à cette région. Le riesling, est tout simplement le Phénix de ces crus. Il sait prendre son temps pour arriver à parfaite  maturité, ce qui le garde plein de fruit, mais il conserve l’éclat de l’ardoise, et son acidité tranchante peut en gêner plus d’un.
Parmi les autres cépages de la région : l’Elbling, le Kerner, le Müller-Thurgau, le pinot noir par exemple.
Toutefois, goût allemand peut-être, nombre de vins (du riesling) conservent des sucres résiduels. D’ailleurs la classification des vins repose sur la maturité des baies. Kabinett pour les moins riches, puis Spätlese (il y a aussi le fameux « j’pète les oeufs » d’Anne-Laurence Chauvel Chadronnier, un terme qui a traversé la toile à la vitesse d’une araignée affamée et rieuse), Auslese, Beerenlauslese, Trockenbeerenauslese, où encore le rare Eiswein (Ice Wine en anglais, ou vin de glace pour nous).
Par contre, en Mosel, les degrés alcooliques des vins sont pour la plupart en 07,5 et 09°.
Si peu ? Qu’elle importance, l’équilibre magique alcool-acidité et sucre fait le reste. Il faut le boire pour y croire !
Au fait, il a également un vignoble sur la Mosel près du Luxembourg et de la frontière française, c’est l’Obermosel ou Moseltor (Haute Mosel ou Porte de Mosel). C’est le moins connu et réputé des vignobles de la région. Le riesling y est moins présent. Le domaine le plus connu est le Schloss Thorn, a Palzem.
Il existe une troisième zone viticole sur la rivière : la Terrassenmosel.
Située entre Cochem et Koblenz (ou Coblence). Dans cette ville, la Mosel se jette dans le Rhein (Rhin), au niveau du Deutsches Eck. Un sacré point de vue, mais l’ensemble de statues très germanique (forcément, le Kaiser) et martial, gâche le charme du lieu selon moi. Et ce, d’autant plus que la pierre était noire, certainement un effet de la polution).
A Winningen, c’est à la sortie de Koblenz, vous pouvez rendre visite à Reinhard Löwenstein (Weingut Heymann-Löwenstein). Universitaire ayant transité par la Sorbonne, son français est simplement parfait. Ses vins, vinifiés dans un registre très différent de ceux de la Mittelmosel sont également remarquables, et ceux des meilleurs crus (Röttgen, Uhlen), sont tout simplement « immenses ». Son site internet est aussi en français, ne manquez pas d’aller le visiter.
Ici, le vignoble a conservé ses terrasses (d’où son nom), qui sont des exemples inouïs d’une volonté et d’un savoir-faire ancestral. Qui aujourd’hui se hasarderait à en créer ici ? Reinhard Löwenstein, lui en a reconstruit pourtant. Son travail de pionnier a été suivi par d’autres vignerons. J’ai entendu beaucoup de bien du Weingut Reinhard & Beate Knebel à l’époque.
Des photos ? Oui, bien sûr, mais argentiques (ce n’est pourtant pas si loin, mais c’est déjà une autre époque), toujours pas scannées (pour celles qui le méritent), mais, au fait, pourquoi ne pas vous y rendre ?
D’aucun se demanderont pourquoi vous parle-je de cette région où je n’ai pas remis les pieds depuis quelques années, alors que ce blog est mon espace pour les vins suisses. Parce qu’elle est en danger. Souvenez-vous, le pont géant qui risque de défigurer ce paysage :
pont autoroutier géant en Mittelmosel
lien de l’article sur le projet de ce pont honteux : ici
Tiens, ça me donne envie d’ouvrir une quille. Je vous en parlerai bientôt.
Et si le coeur vous en dit, deux « sous-régions » existent également dans la nouvelle région viticole de Mosel, ce sont les vignobles de la Saar (Sarre) et de la Ruwer. L’ancienne appellation viticole régionale était d’ailleurs : Mosel-Saar-Ruwer. Pour essayer de simplifier elles ont été biffées au profit de la rivière principale.
Elles méritent également d’être visitées. Dans la première, se trouve le légendaire Weingut Egon Müller. L’ancien Weingut (cave ou domaine) Jordan & Jordan, dont j’ai pu déguster un ou deux cols avant sa vente à Roman Niedwodniczansky (Weingut Van Volxem) et son associé Gernot Kollmann. Des vins distribués en Suisse par le CAVE de Jacques Perrin, qui d’ailleurs, vend aussi un vin de Willi Schaefer, et de quelques autres producteurs allemands, dont ceux de Reinhard Löwenstein… J’avais bon goût il y a dix ans déjà !
Dans la vallée de la Ruwer, il existe deux domaines quasi mythiques : le Karthäuserhof de Christoph Tyrell, un domaine qui date du 13e siècle, et le C. Von Schubert’sche Gutsverwaltung.
Cela dit, si vos pas vous mènent en Allemagne, il existe d’autres vignobles. Sur le Rhin bien sûr : le Rheingau par exemple que j’ai visité également, tout comme le Mittelrhein (Weingut Toni Jost à Bacharach). Le vignoble de Bade, de Hesse, … Les crus d’Hermann Dönnhoff que m’a fait découvrir David « Pignolo ».
Tout proche de la ville de Bonn, il y a le vignoble de l’Ahr. C’est le vignoble le plus septentrional que j’ai visité, il est quasiment exclusivement dévolu au pinot noir.
Même les bavarois aiment le vin. Leur vignoble de Franconie (région de Würzburg) est peut-être la plus grande région viticole (en surface) du sylvaner, « notre » Johannisberg valaisan.
L’Allemagne ? Un sacré pays viticole. Promis.
Laurent