Spécialités blanches du Vs : une évolution dans le temps

Ce qui est parfois terrible c’est que le ressenti d’un évènement peut prendre une tournure désagréable dans son écriture, alors que sur l’instant, on le percevait pas, et, qu’aujourd’hui encore (trois ans plus tard), le souvenir n’est point amer ou douloureux.
Thème de la soirée :
Les spécialités valaisannes blanches et leur évolution dans le temps.
Cette dégustation, organisée par Cornalin, s’est déroulée à son domicile. Etaient présentes dix personnes.
Tous les vins ont été dégustés à l’aveugle, par série de deux ou trois vins. Sauf le premier vin, également chargé d’aviner les verres, qui a été servi seul.
Vin « 0 » : Robe jaune, intense, limpide. Le nez assez discret s’ouvre progressivement sur des notes de vanille, d’eau de vie de framboise, et des notes lactiques apparaissent plus tard. L’attaque en bouche est vive. Un fin perlant est perceptible. Le vin se révèle minéral, de bonne densité, persistant, la fin de bouche est dominée par une impression alcoolique importante. Je retrouve à la rétro deux notes assez étonnantes en raison du contraste qu’elles provoquent : l’abricot d’une part, et d’autre part une légère note herbacée. Le vin est un peu asséchant. Comme notre hôte sollicite notre avis afin de découvrir ce vin, j’ose avancer le cépage marsanne.
Réponse : Chasselas de Fully, 1999, Christophe Abbet. Et un de chute…
Première série :
Vin « 1 » : Un vin à la robe jaune vert claire, limpide. Le nez est terriblement soufré. On perçoit néanmoins des notes de fumée, et des notes citronées, et une minéralité affirmée. En bouche très fin perlant. Une très forte acidité, déséquilibre la matière qui n’apparaît pas bien dense. Ce vin offre une bouche raide et courte. Pas de cépage proposé autour de la table.
Réponse : Gwäss (gouais), 1992, d’Oskar Chanton à Visp.
Cornalin nous rappelle, fort à propos, que le préfixe -gou- indique le mépris (ex : gouailler, gouape). Ce qui montre bien que ce cépage n’était pas tenu en haute estime par les anciens.
Vin « 2 » : Robe jaune, limpide, un peu plus intense que celle du vin précédent, mais restant claire. Nez discret, ou je perçoit des notes d’abricot, et herbacées (persil ?). En bouche, le vin possède une réelle finesse, son acidité certes prononcée, l’est toutefois moins que celle du vin précédent. Ce vin conserve une certaine fraîcheur, grâce à un léger perlant, et à une finale délicatement citronée, de longueur correcte. Un vin donnant des signes de fatigue évidents, et dont la bouche n’offre que peu de profondeur et de complexité.
Réponse : Johannisberg (sylvaner) Brantignon, 1990, Oskar Chanton, Visp.
Vin « 3 » : Robe jaune, assez prononcée, limpide. A nouveau un vin « d’allumette frottée», de pierre à fusil et quelques notes lactiques. Bouche vive, avec toujours un fin perlant, très présent, offrant à nouveau peu d’ampleur. La finale plutôt courte, est dominée à nouveau par une fine note citronée. Un vin qui se révèle être très clairement sur le déclin.
Réponse : Lafnetscha, 1990, Oskar Chanton, Visp.
Remarque : Le lafnetscha, serait le Completer grisonnais, voire même le blanchier. L’origine du nom Completer viendrait que les moines buvaient ce vin après complies, la dernière partie de l’office du soir. En haut-valaisan, cela a donné « Lafnetscha » , de laffen nicht : n’en bois pas trop !
Synthèse de cette première série : Une série difficile, éprouvante même d’une certaine façon. Aussi, la discussion qui la suit évoque des rendements trop généreux, des erreurs durant l’élevage (notamment l’usage du soufre), voire la faiblesse qualitative des cépages. Nous sommes plusieurs à penser que ces vins, certainement dégustés trop tard, se révèlent être d’une autre époque, et qu’il serait intéressant de dénicher aujourd’hui des flacons récents de ce producteur haut-valaisan (considéré comme le « conservateur » des cépages tombés dans l’oubli) pour vérifier le bien fondé de cette impression.
Deuxième série :
Vin « 4 » : Robe jaune aux reflets verts, limpide. Présence de notes citronées et lactiques, mais le nez est peu intense. Le vin me laisse une très légère impression de moisi au nez après aération. Après une attaque vive, la bouche est grasse, dotée d’un fin perlant. Un vin qui parait minéral, et où l’on retrouve des notes d’abricot également. Ce vin vif, possède une belle finesse, de la race. Je lui trouve juste une bouche un poil trop courte. Quoi qu’il en soit, et après la difficile série précédente, ce vin est unanimement apprécié par tous.
Réponse : Humagne blanc, 1996, Cave de la Tornale, Chamoson.
Vin « 5 » : Un vin à la robe jaune un peu plus colorée, limpide. Le nez, bien que peu défini, me laisse une impression d’une bonne maturité. On ressent un peu plus tard quelques notes de framboise. La bouche est vive, l’acidité est bien présente. Je retrouve à nouveau des notes d’agrumes, puis en finale une amertume assez marquée, légèrement asséchante. Je trouve ce vin manquant d’équilibre, dissociée. Je pense à une amigne. Un vin qui n’a pas la finesse et la race du vin précédent.
Réponse : Petite arvine 1996, Cave de la Tornale, Chamoson.
Vin « 6 » : Robe jaune or, intense, limpide, évoquant un vin d’âge mûr. Notes lactiques prononcées (caramel au lait) et impression de madérisation en cours. La bouche est assez souple, acide, avec des arômes de vanille, d’agrumes, et à nouveau d’excès de soufre. Je pense à un Païen ou Heida (savagnin blanc).
Réponse : Sauvignon blanc, 1997, cuvée Maître de chais, Provins (la cave coopérative Provins vinifie un quart de la production totale des vins valaisans. De nombreuses cuvées sont élaborées. La cuvée Maître de Chais, faisant partie d’une des cuvées haut de gamme. Elevage sous bois.
Troisième série :
Vin « 7 » : Vin à la robe jaune or, avec des reflets verts. Intense, limpide. Nez : citroné, eau de vie de framboise, de mousseron, j’ai une impression de maturité trop poussée. L’attaque en bouche est vive, avec un léger perlant, manquant de structure, ou restent quelques sucres résiduels. Nette dissociation nez et bouche, concernant la richesse de chacun, peut-être en raison de rendements trop généreux. Je pense à nouveau à un païen ou à une marsanne.
Réponse : il s’agit d’un vin d’assemblage du millésime 1996, issu de marsanne, petite arvine, amigne. Le producteur est la maison Varone, à Sion (les Celliers de Champsec, avec la maison Bonvin & Fils).
Vin « 8 » : robe jaune or, limpide. Le vin apparaît soufré, avec des arômes de vanille, et à l’aération de tabac blond. En bouche, outre le « traditionnel » côté perlant, agrumes et minéralité dominent un ensemble offrant un bon volume mais apparaissant quelque peu technique (notes de bonbon anglais lors du réchauffement dans le verre). Le boisé est fondu, la longueur est correcte. Un vin bien fait certes, mais sans race véritable.
Réponse : Assemblage blanc (80 % de petite arvine et 20 % de pinot blanc), millésime 1995, de chez Germanier Bon Père Balavaud, à Vétroz.
Quatrième série :
Vin « 9 » : Robe jaune d’intensité moyenne. Le nez me parait poussiéreux (d’autres évoqueront le carton), marqué par des arômes de coing, de fruits à chair blanche, de pèche, d’agrumes et même d’ananas (synthèse aromatique des avis énoncés autour de la table). Une impression pour le moins « exotique ». La bouche est quasiment pétillante (reprise de fermentation de sucres résiduels ?), grasse, on devine encore des sucres résiduels d’ailleurs, mais aussi asséchante. Au final je trouve ce vin lourd, et court. Sans grâce.
Réponse : Assemblage « Le blanc » 1998, de Nicolas Zufferey, Cave Les Bernunes, à Sierre. Composition : riesling (35%), sauvignon blanc (42%), sylvaner (23%).
Vin « 10 » : Robe jaune un peu plus accentuée. Nez de fruits jaunes, de citron, de tabac. La bouche est grasse, « beurrée », minérale, avec un très fin perlant. Elle offre néanmoins une belle tension. Nous suspectons la présence de SR. A nouveau, la finale est légèrement asséchante. Un vin dont l’élevage sous bois ne fait pas de doute pour la tablée.
Réponse : Cuvée Maître de Chais 1998, Provins, composition de pinot blanc, marsanne, amigne et heida.
Cinquiéme série :
Vin « 11 » : robe jaune, prononcée, limpide, le premier nez est discret, puis apparaissent des notes de pèches et de pierre à fusil, de fumée. Un vin conservant de la vivacité, toujours légèrement perlant, minéral, avec des arômes d’écorce d’agrumes en finale. A nouveau, la présence de SR est fortement suspectée. Je pense à une amigne.
Réponse : Marsanne blanche 1994, cuvée « Mémoire du Temps », Provins. Elevage en fût de chêne.
Vin « 12 » : Robe jaune or, limpide. Fruits jaunes, impression d’oxydation en cours. La bouche est fondue, déséquilibrée, laissant une impression alcoolique et de sécheresse. Une fois encore, nous suspectons ce vin d’avoir quelques SR. Un vin franchement sur le déclin.
Réponse : Petite Arvine 1996, Cuvée « Mémoire du Temps », Provins.
Vin « 13 » : Robe jaune or avec des reflets verts. Nez de bonbon anglais, d’agrumes (pomelos), de vanille. Laisse une impression de bonne maturité. La bouche est fondue, laissant une impression d’une belle finesse. Elle manque d’un peu d’acidité. L’élevage sous bois est assez net : beurre, vanille. Léger amer en finale et à nouveau je pense qu’il doit rester quelques SR, à moins qu’il ne s’agisse du riche glycérol fréquemment rencontré avec l’amigne ? Quoi qu’il en soit j’apprécie ce vin que je trouve intéressant, mais auquel il manque un peu de complexité en regard du premier vin qui doit être le plus complet des trois. Et qui laisse aussi l’impression d’être le plus jeune.
Réponse : Amigne de Vétroz 1997, Cuvée Maître de Chais, Provins.
Sixième série :
Vin « 14 » : Robe jaune intense, limpide. Nez d’eau de vie de framboise, de citron, d’abricot. Bonne attaque en bouche, et moelleux confortable. Si le vin est équilibré, il parait quelque peu léger. Davantage moelleux que liquoreux. Bien fait, mais on est encore loin des plus grands surmaturés valaisans.
Réponse : Profil SGN, 1996, Provins. Assemblage de pinot blanc, de pinot gris et de marsanne.
Vin « 15 » : Robe jaune paille. Certains retrouvent dans leur verre des précipitations d’acide tartrique. Belles larmes sur les parois du verre. Le nez est intense, marqué par un volatil net, des arômes très mûrs de framboise et d’abricot. La bouche est légèrement perlante, alliant fraîcheur et onctuosité, d’une belle richesse. Belle finesse et beaucoup d’équilibre. Fort belle longueur où l’on retrouve un léger amer en finale. On change de registre de gamme. Mon vin préféré de cette série. Une marsanne ?
Réponse : Marsanne flétrie sur souche. 1996. Dom. des Seilles. Cave de la Bâtiaz. Un vin vinifié et élevé par Didier Joris. Une sélection DIVO.
Vin « 16 » : Robe jaune ambrée, les larmes sont épaisses. Ici aussi, un volatil est présent (encore plus puissant que pour le vin précédent), le caractère oxydatif est très prononcé. Le nez est très discret. Je ressens davantage la présence soufrée. En bouche, moins d’équilibre, de finesse. L’acidité est moins prononcée, et le vin semble le plus liquoreux de la série. La finale est plus courte également.
Réponse : Petite arvine 1996, Dom. des Seilles, Cave de la Bâtiaz. Le vin est non filtré (tout comme le vin le précédent), les derniers servis retrouvent nombre de petits cristaux de bitartrate de potassium.
Un vin également vinifié et élevé par Didier Joris.
PS : Didier Joris est une des personnalités viticoles les plus connues du Valais, mais aussi une de celles qui ont le plus d’influence.
Cet ancien professeur d’œnologie au centre de recherche agronomique de Changins, a créé sa propre cave à Chamoson voici près de quinze ans, ainsi qu’un laboratoire d’analyse œnologique. Autant dire qu’il connaît les qualités et les défauts du Valais viticole comme personne ou presque. Durant un temps, il a aussi publié un guide « Vins de Passion » avec deux autres dégustateurs. Dans son domaine de 2,5 hectares, il vinifie cinq vins de syrah. Quatre de terroirs différents et un dernier vin d’assemblage.
En conclusion :
Avant tout un grand merci à Cornalin pour cette dégustation de vieux millésimes de spécialités blanches valaisannes.
Cette remontée dans le temps, m’a permis d’entrevoir les progrès accomplis en Valais ces quinze dernières années. Il est évident que la viticulture valaisanne a chaussé des bottes de sept lieux durant cette période.
De plus, il a été très intéressant de participer à une dégustation à l’aveugle, ce que je ne pratique que trop peu souvent. Avoir à déguster des vins issus de producteurs que je ne connaissais que de nom, rajoutait au caractère piquant du moment, à cette impression d’immersion, dans la région viticole que je fréquente le plus désormais depuis plusieurs années.
Car, outre la recherche des éléments faisant la typicité de chaque cépage (quand le vin est élevé en mono-cépage) que l’on cherche à découvrir dans ce genre de pratique, j’ai aussi remarqué mon degré de dépendance avec la patte de vinification et d’élevage des producteurs que je fréquente (et pourtant je me donne de la peine pour les rendre les plus « pluriels » possible).
Merci à Cornalin et aux participants pour la qualité de cette soirée.
Laurent