L'évolution des vins valaisans vue par Dominique Fornage

Pour ceux qui ne connaissent pas Dominique Fornage.
Il est aujourd’hui, et depuis une demi-douzaine d’années, le directeur du Château de Villa.
Ce remarquable bâtiment regroupe en un même lieu un restaurant de spécialités régionales (le temple de la raclette en particulier, ici déclinée avec cinq fromages au lait cru différents), une oenothèque de six cent crus (avec des encavages de tout le Valais). En outre, on trouve sur place une salle de dégustation particulièrement bien équipée pour quelque 24 dégustateurs : le Sensorama. Enfin, il y a également le Musée de la Vigne et du Vin du Valais dans un bâtiment adjacent au Château de Villa. Ce musée se partage sur deux sites (la maison Zumhofen à Salquenen, et donc aussi à Sierre).
Dominique anime des dégustations très régulièrement. Elles sont consacrées aux vins du Valais bien sûr, mais aussi des dégustations de prestige, des grands crus étrangers, dont parfois de vieux voire de très vieux millésimes.
Dominique Fornage a édité un temps un guide régional des vins du Valais. Ce guide avait le bonheur de parler des des vins et des vignerons avec un respect et un optimismes rares. Certainement parce que la meilleure des critiques étant de saluer les vins les plus réussis plutôt que d’évoquer les vins « ratés » ou décevants. Ce guide était de plus dépourvu de toute note et autre échelle d’évaluation (des étoiles par exemple) des vins cités. Pas plus qu’il n’y avait de commentaire de dégustation pour chaque vin).
Réalisé chaque année, ce guide Nobilis apportait des informations sur la qualité du millésime précédent, et des réussites, cépage par cépage.
Afin de provoquer une émulation saine entre les vignerons, et de démontrer au public la qualité des vins du Valais, il avait également mis sur pied le concours Nobilis des vins du Valais (du nom de son école du vin, qui existe toujours). Un concours aujourd’hui disparu et remplacé par les Etoiles du Valais, un concours bi-annuel organisé par l’Interprofession de la Vigne et du Vin du Valais (IVV).
Bref, voici ci-dessous un texte faisant un état des lieux de la viticulture valaisanne, écrit par un dégustateur expérimenté -et à qui je suis redevable de plus que quelques unes de mes connaissances sur les vins et les producteurs du Valais- mais aussi respecté (en particulier de nombreux vignerons, qui évoquent encore aujourd’hui son travail en faveur d’une augmentation de la qualité des vins du Valais).
Mes expériences remontent à 1978 en ce qui concerne le vin valaisan.
– Dans les années 1980, les producteurs ont très souvent appris le
vin selon la manière ancestrale: les enfants apprennent de leurs parents,
et ainsi de suite, sans avoir suivi d’école particulière. La pratique vient
avec le temps et par l’exemple des anciens. Les vins sont souvent assez
rustiques. On parle alors d’un terroir marqué, mais c’est aussi assez souvent
du « grossier » issu d’une vinification peu « suivie ».
La structure est souvent assez faible, puisqu’on est encore dans la période
la plus prolifique au niveau de la production.
Un exemple de producteur qui sort du lot pour sa qualité à tous
les niveaux est Simon Maye de St-Pierre-de-Clages.
On parle encore quasi uniquement de Fendant et un peu de Johannisberg
pour les blancs, et de Dôle ou de Pinot Noir pour les rouges.
Quelques nouveaux oenologues issus de l’école de Changins commencent à
changer les techniques vinicoles: ils ont appris à élever « enfin »
des « vins fins », le goût de terroir s’effaçant au profit de la pureté du cépage.
Quelques rares essais de vinification sans 2ème fermentation se font sur le Fendant.
– Dès les années 1985, la presse parle beaucoup plus des vins au niveau
local et les concours ont pour conséquence une émulation positive. Ces
confrontations poussent aussi les producteurs à avoir des contacts plus
étroits pour échanger des informations que l’on n’aimait pas divulguer
facilement jusque là. Cette période est aussi marquée par une nette
augmentation de nouveaux oenologues sortis de Changins ou de Wädenswil.
On commence de plus en plus à parler des cépages considérés comme
des « spécialités » et des cépages internationaux que l’on plante volontiers:
Arvine, Chardonnay, Amigne, Humagne(s), Cornalin, Syrah,…
Les assemblages (à part l’ancestrale Dôle) font tranquillement leur apparition,
ainsi que l’élevage en fûts de chêne. La structure devient tranquillement un
sujet important.
– Dès les années 1990, de nombreux nouveaux encaveurs  et encaveuses font
beaucoup parler d’eux et un certain « vedettariat » s’installe. Les grandes maisons
tremblent un peu mais les fondements sont solides et elles adaptent plus ou
moins rapidement leur commerce à cette concurrence venue des petits artisans.
La qualité est résolument l’affaire de tous et les difficultés commerciales poussent
à redresser la barre le plus rapidement possible. Cette qualité passe automatiquement
par des rendements plus faibles: l’AOC apparaît en 1991. Progressivement,
la production diminue de plus de moitié en 20 ans, de 1983 à 2003, c’est extraordinaire!
Un effet de mode pousse beaucoup de producteurs à planter encore d’autres cépages
internationaux qui réussissent aussi très bien grâce au potentiel impressionnant
de notre terroir et de notre climat.
La structure est le mot d’ordre: on baisse les rendements et on innove
au niveau de la vinification et de l’élevage. L’expérience permet progressivement
une meilleure maîtrise de tous les moyens oenologiques. L’idée de laisser faire
la deuxième fermentation ou non est réglée par le producteur qui se laisse souvent
guider par les caractéristiques propres au millésime.
– Dès les années 2000, les cépages dits « autochtones » ou traditionnels sont de
plus en plus mis en valeur. Beaucoup de producteurs, petits ou grands, atteignent
des niveaux qualitatifs qui permettent de glaner très souvent des grandes médailles
dans tous les concours internationaux. Tous les grands professionnels étrangers
connaissent nos vins, même si l’exportation stagne à 1%.
Selon moi, il reste principalement deux éléments importants sur lesquels on doit
absolument travailler :
1) mieux ancrer dans les mentalités des consommateurs et des professionnels le
concept des millésimes, déjà bien établi pour les Bordeaux et les Bourgogne.
2) adapter les dates de mises en bouteilles aux caractéristiques du vin que l’on
a la prétention de vouloir produire : un grand vin devant obligatoirement subir un
vrai élevage avant d’être mis sur le marché!
Dominique Fornage répondait à un lecteur sur l’ancien blog  à  la question « qu’est-ce que j’entends par mieux ancrer la notion de millésime….?
Sa réponse:
Les consommateurs et les producteurs suisses doivent commencer à faire la distinction entre un millésime et un autre comme on le fait en Bourgogne ou à Bordeaux: en Suisse, cette distinction ne se fait que lors de l’élaboration et encore un peu après la mise en bts. Cela n’est pas suffisant car un grand millésime prouve sa grandeur des années après sa mise en bts. Un des éléments absolument indispensables pour asseoir la notoriété d’un cru est de montrer qu’il est capable de vieillir, d’où la notion de millésime. Et pour prouver qu’il est à même de vieillir, il faut le démontrer par la pratique… Aïe, Aïe… Chaque connaisseur de vin (amateur ou professionnel) devine donc tout le « pain qu’il reste sur la planche » pour y parvenir.
Je dis tout cela car je considère que nos vins blancs (secs ou liquoreux) sont parmi ceux qui ont le plus grand potentiel de vieillissement au monde
.
Dominique Fornage »
Dominique Fornage
Dominique Fornage
Un grand et chaleureux merci à toi Dominique pour ce texte.
Laurent