L'image des vins suisses s'améliore. Explications.

Un sondage réalisé pour le compte de l’Interprofession suisse du vin le démontre.
Réalité ou leurre opéré par une subtile sémantique propre aux sondages ? Je répondrai :
« les deux mon général !». Mais qu’importe, car …in vino veritas !
La surface de plantation du vignoble helvétique est faible et ne peut plus progresser : avec quelque 15 000 ha au total, la Suisse possède un vignoble à peine plus grand que l’Alsace par exemple. Par contre elle compte sept millions d’habitants contre moins de deux pour cette région française. On comprendra aisément que la production ne peut suffire à couvrir les besoins de la consommation indigène. C’est pourquoi, les vins suisses sont surtout destinés à un marché intra muros. Par ailleurs, la Suisse reste un pays cher au regard de ses voisins. De fait, très rares sont les oenophiles qui franchissent la frontière pour encaver les meilleurs flacons comme ils le feraient par exemple, en se rendant dans une région productrice de France durant leurs vacances. Et pourtant, les bonnes affaires existent ici aussi !
Grâce à une habile flatterie sur l’orgueil national, il est aisé de « duper » son monde et d’interpeller son lecteur : « les vins d’ici sont meilleurs qu’ils n’ont jamais été, pourquoi acheter des vins venant d’ailleurs ?». Même si cette remarque est juste, n’en déplaise aux faiseurs de sondages, et à quelques journalistes régionaux particulièrement chauvins, je soutiens qu’ils participent davantage à une manipulation des masses qu’à un véritable travail d’information. Quelle plume de L’Express (quodidien neuchâtelois) osera écrire que les vins de pinot noir devraient -simplement- être meilleurs, plutôt que de rappeller les glorieuses médailles obtenues aux (multiples) concours internationaux existants ? Certes, les producteurs neuchâtelois vendent sans peine leurs vins à une clientèle principalement régionale (à des prix somme toute encore sages). Produire mieux (et donc plus cher) les couperaient peut-être de cette clientèle, sans garantie d’en trouver une nouvelle. Démarche certainement tentante pour certains, mais risquée.
Les consommateurs sont moins nombreux, consomment moins, mais sont davantage connaisseurs : ici encore, on caresse dans le sens du poil ! Même si la tendance à boire moins se confirme ici en Suisse comme partout ailleurs en Europe, les amateurs de vins de terroir et ceux pour qui la notion de variation de qualité entre les millésimes restent minoritaires. On boit peut-être moins mais sans trop se poser de question : le vin doit être bon, c’est-à-dire digeste, fruité, voire parfois boisé… En fait un vin sans excès en ce qui concerne sa qualité, mais surtout sans défaut. Chez ces consommateurs-là, un vin avec défaut c’est de l’argent jeté par les fenêtres. Les grands distributeurs l’ont bien compris et savent pourquoi ils « contrôlent » à eux seuls près de 80 % du marché.
En 2004, seuls 05% des amateurs de vin alémaniques connaitraient la syrah et la petite arvine du Valais. Soit deux des cépages de spécialité les mieux plantés après le sylvaner (appelé Gros Rhin en Valais, il produit les vins de Johannisberg) ! Or la Suisse alémanique c’est tout de même plus de 2 personnes sur trois dans le pays ! Le rösti graben perdurerait-il ? Pas sûr, en Lavaux, une partie de la production « passe » outre-sarine, mais des parts de marché se sont perdues ces dernières années et décennies.
La baisse des rendements dans chaque vignoble a permis d’élever la qualité : affirmatif. Par ailleurs l’offre s’est diversifiée par nécessité : ainsi à Neuchâtel, les deux cépages historiques que sont le pinot noir (planté par les cisterciens venus étendre leur ordre dans la région) et le chasselas ne sont plus les deux seuls cépages autorisés dans le canton. La concurrence est surtout rude pour le chasselas, en perte de vitesse. Après surtout l’implantation du chardonnay et du pinot gris, c’est au tour du sauvignon blanc, et même du viognier de faire leur apparition. Et désormais le merlot et le malbec (en vin de table).
Enfin, pour bon nombre de personnes, l’instauration des AOC constitue un plus pour la qualité. Comment ne pas être séduit par les AOC ? Cela dit, tout comme en France, elles sont à géométie variable : Neuchâtel vient de faire entrer dans la sienne le gamaret. Cela a t-il réellement un sens plutôt que de vouloir faire mieux avec le pinot noir ? Quid des cinquante cépages autorisés entrant dans l’AOC Valais ? Si certains sont indiscutables, quel intérêt avec d’autres, totalement anecdotiques ?

Un vignoble parfois casse-jarrets pour le vigneron, heureusement épaulé par

des monorails, ou, comme ici, par un téléphérique.

 
Qu’en est-il réellement ?
Oui, la qualité de nombre de vins est très bonne, voire parfois même excellente. La plupart des meilleurs producteurs de Suisse Romande vendent leur vin de spécialité à moins de 20 euros pour les vins haut de gamme. Ces vins constituent donc d’excellents achats pour tout oenophile qui se respecte. Seuls quelques rares vins dépassent ces tarifs : principalement les vins liquoreux valaisans, qui restent néanmoins de fort bonnes opportunités d’achat, tant par leur originalité que par leur qualité. Désormais, la pression sur les vins de syrah (mais aussi de cornalin) est très forte, et les prix montent d’année en année. Mais en aucun cas les vins les plus onéreux, n’atteignent des prix stratosphériques comme ailleurs (un exemple s’avère inutile, vous compléterez si besoin par vous même).
Par ailleurs, certains vignobles en terrasses du Valais et du Lavaux sont, au même titre que ceux de Mosel en Allemagne ou du Porto, des lieux à protéger tant leur beauté est grande. Ce type de vignoble n’aide pas à une production intensive. Le temps de travail à l’hectare peut atteindre 1500 heures annuelles, contre un petit tiers seulement dans des vignobles de plaines mécanisés. Réussir à produire des vins aux prix évoqués tout à l’heure alors tient du miracle !
Vous ne me croyez toujours pas ?
Venez donc faire une « dégust. à Sion ».
Force est de constater, que le gain en terme d’image des vins de la Confédération Helvétique a connu quelques bonnes nouvelles récemment. Plusieurs exemples :

  • la Revue du Vin de France a écrit en ce début d’année un article complet, particulièrement positif, région par région, démontrant avec raison que non pas trois ou cinq producteurs faisaient la réputation de nos vins, mais qu’une véritable élite régionale, voire nationale s’était constituée.
  • Le Grand Jury Européen, lui, avait salué, quelques mois plus tôt, la très haute qualité d’une demi douzaine de vins de syrah (dégustés avec près de quarante vins internationaux). Les vins suisses trustant non seulement la totalité du podium, mais aussi une grande part des dix premières places.
  • Le Rouge & le Blanc a mis également son nez dans le flacon (ou plutôt remis) avec des articles précis, documentés et variés.
  • Michel Bettane et Thierry Desseauve (journalistes vins français) ont désignés Dany Varone et Stéphane Reynard, de la Cave Cornulus de Savièse, vignerons de l’année en 2008.
  •  Lavaux a été inscrit au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’Unesco. Cela a crée une dynamique sur l’ensemble des appellations de cette région. Je suis certain que les producteurs sauront la mettre à profit pour progresser ensemble.

 
Cela s’appelle un début de reconnaissance, non ?
Laurent